A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

De qui dépend l’intégration (1984)

Un exemple, parmi bien d’autres rencontré au Centre d’Accueil, qui illustre parfaitement la dichotomie entre une certaine théorie de l’intégration prouvée par nos dirigeants et une pratique quotidienne contradictoire.

Mr. G., Marocain, vit en Belgique depuis 20 ans. Il a 3 enfants et travaille régulièrement, sans interruption jusqu’en 1983. Crise économique, restriction de personnel, Mr G. perd son emploi. Il parle parfaitement le français, connaît ses droits et effectue toutes les démarches nécessaires pour obtenir ses allocations de chômage. Et pourtant 5 mois plus tard, Mr G. se rend à notre Centre d’Accueil. C’est la première fois qu’il a recourt à un service social, nous dit-il. Depuis 5 mois, Mr G. n’a pas encore touché l’argent qui lui est dû. Le salaire de sa femme, nettoyeuse de bureaux, et les allocations familiales ne suffissent plus à couvrir, leurs besoins.
La famille s’est endettée, le loyer n’est plus payé…

Depuis 5 mois Mr G. fait la navette entre l’ONEM et la CAPAC (caisse auxiliaire) l’ONEM lui réclame le numéro de son dossier que doit détenir la CAPAC. Celle-ci prétend ne pouvoir le lui donner et le renvoie à l’ONEM, ainsi de suite…
Mr G. est très découragé. A chaque démarche entreprise, il a reçu un accueil plus que désagréable et aucune explication qui justifierait le retard anormal du paiement. Nous écrivons une lettre au responsable de la CAPAC, et le jour même, Mr G. obtient son numéro de dossier. Il se rend à l’ONEM de sa propre initiative et là, une fois encore, l’employé prétend que ce numéro ne lui est d’aucune utilité et le renvoie à la CAPAC. De qui se moque-t-on ?
Nous décidons d’accompagner Mr G. dans ses démarches. Le responsable de la CAPAC nous reçoit avec une extrême courtoisie. Dès le début, Mr G., se cache derrière nous, n’ose pas entrer dans le bureau du responsable, malgré nos efforts de l’impliquer dans la défense de son propre cas.
Le dossier est trouvé immédiatement et la situation de Mr G. se régularise comme par enchantement. Mr G. quoique soulagé, est profondément marqué par la différence de comportement des employés. Alors qu’il était renvoyé d’un guichet à l’autre depuis des semaines « comme une balle de ping-pong », notre présence à ses côtés non seulement débloque la situation mais surtout ouvre les portes à la bonne volonté, à la courtoisie…
Nous somme enfin entre êtres humains !

Cet exemple parmi tant d’autres, nous interpelle profondément en tant que travailleurs sociaux.
Un de nos soucis constants dans notre travail et pour lequel nous canalisons beaucoup d’énergie est celui de l’autonomie de nos consultants. Nous pensons qu’une bonne information de leurs droits, l’apprentissage de la langue française (cours d’alpha…) sont autant d’outils leur permettant d’accéder un peu à un pouvoir qu’ils ne font que subir. Et pourtant Mr G. parle très bien le français, connaît parfaitement ses droits, n’a jamais eu recours à un service social. Mais Mr G. est Marocain, il a la peau mate et les cheveux frisés.
La naturalisation et la carte d’identité verte qui la sanctionne aurait-elle eu le même pouvoir enchanteur que l’accompagnement d’une assistante sociale ?

Un ami Zaïrois naturalisé belge s’est vu récemment refuser, l’entrée d’un café dont "la direction se réserve le droit d’entrée" !
Nous constatons qu’apprendre à une communauté étrangère les rouages de la société dans laquelle elle vit est une étape insuffisante. L’effort d’intégration ne peut être unilatéral. Il faut en même temps que la communauté d’accueil, avec la volonté de ses dirigeants, soit informée et accepte cette intégration et insertion dans l’esprit du respect de l’autre.

Michèle POPPE
Michèle BOEREBOOM

Centre d’Accueil du MRAX