A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Document du Comité de protection de la jeunesse (1979)

L’ACCUEIL

Il nous reste un chapitre, celui de la politique de l’accueil et des mentalités des Bruxellois à l’égard de leurs concitoyens immigrés ?

On pourrait d’emblée objecter à l’énoncé de ce chapitre que point n’est encore besoin de politique d’accueil puisque l’immigration a été arrêtée en 1974. A cela nous répondons que les travailleurs de la Communauté européenne peuvent toujours (sous certaines conditions très favorables) s’installer chez nous et que d’autre part il y a toujours la possibilité et le droit pour les travailleurs régulièrement entrés de se faire rejoindre légitimement par leur famille, c’est-à-dire par leur conjoint et par leurs enfants ; c’est ce qu’on appelle le regroupement familial.

Nous nous réjouissons, bien sûr, de cette possibilité qui est sans conteste un geste d’accueil. C’est le foyer, la cellule familiale que nous recevons et non pas un travailleur séparé des siens, ou avec l’un ou l’autre de ses enfants seulement, avec tout ce que cet isolement apporterait inévitablement de tristesse, de découragement et de rupture du lien familial.

Les Comités de Protection de la Jeunesse qui connaissent par expérience la valeur irremplaçable d’un foyer uni et sécurisant ne pourraient évidemment que regretter des mesures qui visent à la séparation, voire à l’éclatement de la famille. Disons ici d’ailleurs que nous regrettons certaines restrictions nouvelles que l’on met au regroupement et qui font que l’on semblerait ne plus tolérer celui-ci que s’il est réalisé en une fois.
Un enfant mineur rejoignant par exemple sa famille avec un statut d’étudiant ne pourrait être reconnu ensuite comme travailleur ; l’épouse ou l’enfant resté au pays, pour des raisons de santé ou autres, ne pourrait plus rejoindre parce que la famille ne s’est pas déplacée en bloc !
Nous pensons que si l’on peut être strict dans l’application du regroupement qui ne peut s’étendre au-delà de la mère et des enfants mineurs, ce serait une récession grave que de maintenir de nouvelles entraves au regroupement d’une famille.

En dehors de ces possibilités constantes, ce n’est pas parce qu’on a négligé de prendre à temps des mesures d’accueil qu’il ne faut pas les prendre maintenant alors que leur carence a eu et a encore des conséquences particulièrement regrettables et lourdes d’avenir.
Les immigrés, surtout de la dernière décade, ont à certains moments nécessairement besoin d’une information spécifique que pourrait notamment leur donner avec le maximum d’aménité et de réalisme, un centre créé pour eux et dirigé avec eux.

Tous les immigrés entrés en contact avec nous, toutes les organisations et associations de travailleurs étrangers et tous les jeunes interrogés se plaignent sans détours de la politique belge d’accueil ou, plus exactement, de l’absence - du moins à Bruxelles - d’accueil organisé. Les immigrés arrivant en Belgique et y appelés pour la plupart pour remplir ici des tâches refusées par la main-d’œuvre nationale, comment ont-ils été reçus, informés, ? Par qui ? C’est le vide et l’improvisation totale !
Il leur faut rechercher si possible un parent ou un compatriote et les voilà ainsi à la merci de renseignements fragmentaires et même parfois erronés. Que devraient savoir les étrangers en mettant le pied sur le sol belge ?

D’abord, comment régulariser au plus tôt, sans courir d’un bureau à l’autre, leur situation administrative et sociale.
Quels sont leurs droits de travailleurs, de locataires ? Que sont leurs obligations à l’égard des patrons, de l’administration communale,des propriétaires ?
Quels sont en Belgique leurs droits et devoirs de parents, d’époux ?
Comment est organisé dans ses grandes lignes le réseau scolaire belge ?
Quelles sont les possibilités d’aide offertes par les organismes pédagogiques et sociaux ?
pour leurs enfants (ONE, colonies de vacances, Adeps, centres de consultation conjugale et de planning familial, services sociaux communaux, libres, etc.)
Comment fonctionne la justice en Belgique ?
Quelles sont certaines adresses qu’il est bon de connaître : compagnies d’assurances, centres médicaux, centres de culte, ministère, mutuelle, syndicat, centre culturel, centre de loisirs, etc.

Et les jeunes immigrés eux-mêmes, que nous ont-ils dits ?

Beaucoup d’entre eux se plaignent de l’arrogance et du parti pris de suspicion de la police à leur égard et de tracasseries administratives de toutes sortes.

Un exemple typique, parmi plusieurs dizaines de récits qui nous furent faits, est celui de cette jeune fille se voyant féliciter par un officier de police parce qu’elle rapportait un portefeuille contenant des valeurs et puis, subitement, changement d’attitude, se voyant assez grossièrement suspectée à la seule vue de sa carte d’identité d’étranger !

Un assez grand nombre - et cela est tout de même assez étonnant a le sentiment d’être victime d’un courant ségrégationniste jusque dans les écoles. Nous sommes mal vus. A priori dans les écoles. nous ont-ils dit, nous sommes les boucs émissaires des instituteurs et des élèves belges. Nous n’avons garde de généraliser mais il est certain que ces cas se répètent et se tolèrent trop fréquemment. Cela s’appelle du racisme et ce phénomène inquiétant semble croître assez dangereusement, il est même parfois propagé par certaine presse ; combien de faits divers n’attirent-ils pas, dès le titre, l’attention sur le fait que certains actes délictueux ont été commis par des étrangers alors même que des actes similaires ou identiques sont le fait, en bien plus grand nombre hélas, de ressortissants nationaux.

Cela n’honore pas ces rares journalistes qui renforcent ainsi inconsciemment nous le supposons, le réflexe ségrégationniste de certains de leurs lecteurs. Et nous ne parlerons pas ici de certains magazines spécialisés dans la xénophobie.

Quelles solutions pourrions-nous apporter à ces problèmes très importants ?
Un véritable centre d’accueil pourrait et devrait être mis en place pour l’agglomération de Bruxelles. Comment le concevoir ? Comment l’organiser ? Par qui sera-t-il créé ? Avec quels deniers ? Qui le dirigera ?
Autant de questions qui réclament des réponses précises qui conditionneront la structure du Centre, son rayonnement, son utilité et ses buts.
Certains avaient pensé que l’accueil devrait être organisé au niveau des services communaux, étant donné que les immigrés doivent s’y rendre fréquemment. On pourrait idéalement imaginer un véritable service d’accueil créé par les communes, avec un souci d’aide et un esprit d’ouverture...

Néanmoins, comme nous devons demeurer réalistes, nous avons abandonné cette vue de l’esprit tout en souhaitant évidemment que certaines communes montrent l’exemple en créant un centre communal d’information empreint de cordialité, de compréhension et d’efficience à l’égard de leurs administrés étrangers souvent incompris et hésitants devant des fonctionnaires dont ils ne comprennent pas les explications et aussi à propos de services existants dont ils ne perçoivent ni l’utilité ni l’intérêt.

Il est apparu alors assez rapidement un courant qui réclamait la distinction entre « l’Accueil information » et « l’Accueil service social ».
Pour ce dernier, la prise en charge se fait de plus en plus par les services créés par les immigrés eux-mêmes. Nombreux sont actuellement les organismes d’immigrés qui disposent d’un service social, sans compter les services sociaux étrangers autonomes.
A ce niveau, il conviendrait peut-être sans doute surtout de les faire mieux connaître et de coordonner les subsides nécessaires.

Mais il est apparu également clairement qu’une information spécifique aux jeunes immigrés faisait assez cruellement défaut parce que la plupart des organismes d’étrangers et des associations culturelles de migrants ou belgo-immigrées s’adressaient plus spécialement aux adultes.

En fait, dans l’état actuel des choses, avec la plupart des immigrés, nous souhaitons ceci :

La création à l’échelle de l’agglomération bruxelloise, d’un centre d’accueil et d’information pour immigrés qui centraliserait tous les renseignements dont ont besoin les familles étrangères : informations pratiques, logement, lois sociales, affaires juridiques, scolarité, adresses de toutes les organisations d’immigrés... les étrangers, devraient pouvoir y être reçus dans toute la mesure du possible, par des travailleurs sociaux de leur nationalité et pouvant avoir leur entière confiance.

Ce centre devrait par ailleurs assurer la liaison avec les organisations d’immigrés en informant directement celles-ci, avec commentaires explicatifs et tous développements utiles, des dispositions légales en vigueur, des nouveaux arrêtés et circulaires les concernant et en les documentant à tous égards le mieux possible.

Cette dernière fonction est actuellement assurée à Bruxelles par un centre néerlandophone (L’O. C. G. B.) subsidié par le Ministère de la Culture néerlandaise. Il nous parait vraiment urgent de rattraper du côté francophone un retard qui semble incompréhensible.

Enfin, ce centre d’accueil et d’information devrait absolument - et cet objectif nous paraît même prioritaire, comprendre une section spécialisée d’information pour les jeunes immigrés, une sorte d’Infor-Jeunes immigrés, où les adolescents pourraient venir en confiance, s’informer sur les possibilités existantes de travail, sur l’orientation prévisible du marché de l’emploi en ce qui les concerne plus particulièrement, et donc aussi sur le choix de leur formation professionnelle, trouver la liste des organismes culturels et éducatifs, des centres de recyclage professionnel, des autres centres Infor-Jeunes et SOS Jeunes combien utiles et avec lesquels ils devraient être en liaison étroite, des ateliers créatifs, des cercles sportifs et centres de loisirs existants, et où ils recevraient enfin également toute l’information nécessaire en matière de protection et d’aide sociale.

Qui créerait et prendrait un tel service en charge ?
Il nous semble que l’initiative devrait être prise d’urgence par le Ministère de la Culture française ou par l’instance responsable de la région bruxelloise telle qu’elle sera sans doute bientôt définie.

Il faudra, en outre, évidemment nous atteler tous à faire changer la mentalité des autorités et du public à l’égard des immigrés par exemple, par des émissions radio, des spectacles culturels, des flashs T. V. redressant les contrevérités, par le truchement de cours dans les écoles aux différents niveaux et par toutes mesures utiles que l’on imaginera facilement si on a la volonté d’éclairer et d’entraîner dans le bon sens.