A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Dur dur pour certains de décrocher un emploi (1995)

L’histoire des personnes engagées dans un processus d’insertion professionnelle ne commence pas le jour où elles se retrouvent sans emploi. Une suite d’échecs, une inactivité professionnelle, un manque d’expérience ou une faible qualification professionnelle, une image négative de soi et de ses capacités, une difficulté à communiquer, un isolement, l’appartenance à une autre culture,… sont déjà autant de « préjudices » aux yeux de l’employeur potentiel.

Et le découragement s’installe, car, trop souvent, la réponse de l’employeur est négative. Parce qu’elles sont trop peu qualifiées, trop âgées, parce que la connaissance du français est insuffisante, ou leur casier judiciaire non vierge, parce qu’elles sont d’une culture non occidentale ou de couleur…
Oui, le racisme est présent chez certains employeurs de manière explicite ou insidieuse. Ils l’expriment à la personne en recherche d’emploi ou au service d’insertion lorsqu’ils signalent une possibilité d’emploi ( être « belge d’origine », « étranger, oui mais à condition d’avoir le type CEE,…). Cela n’arrive pas tous les jours mais c’est chaque fois de trop. C’est en présentant l’histoire personnelle de personnes rencontrées dans le cadre de mon activité professionnelle que je vais illustrer cette difficulté de trouver du travail face à la discrimination raciale. Dans le chef de certains employeurs, l’appartenance culturelle où la nationalité sont des conditions indispensables que doivent remplir les candidats à l’embauche.

Jeudi 10 heures, un employeur nous appelle. « Je cherche une jeune femme belge, bilingue français-néerlandais, bonne présentation avec expériences pour servir en salle et faire de la petite restauration. C’est urgent ! ». Je connais Annie. Elle vient me voir régulièrement. Elle correspond au profil demandé. Je l’avertis et nous convenons d’un rendez-vous avec l’employeur . En fin de journée, celui-ci me téléphone : « Pour votre candidate, son bilinguisme est bon et son expérience suffisante, mais je voudrais que vous me procuriez une personne de race blanche ». En effet, Annie est métisse. Son père est belge et sa mère est zaïroise. Je refuse de chercher une autre candidate. De plus, l’employeur n’a pas eu le courage de lui signaler lui-même son motif dont le refus était simplement que « laisser travailler en cuisine ou en salle une personne de peau noire, cela indisposera les clients qui associent noire à sale »… Annie se décourage une fois de plus : « Pourquoi la couleur de ma peau me poursuit-elle dans ma recherche d’emploi ? ». Quelques semaines plus tard, Annie trouvera une place de vendeuse dans un magasin de vêtements.

Hassina a repéré dans le journal une offre qui lui conviendrait. Elle téléphone afin d’obtenir un rendez-vous. Une fois qu’elle donne son nom, la personne lui rit au nez en disant : « Bien sûr tout le monde cherche du travail, mais les Belges d’abord ». Hassina obtient quand-même un rendez-vous mais pour le surlendemain. Devant sa déception et son étonnement (c’est la première fois que cela lui était exprimé si directement), deux autres demandeurs d’emploi de son groupe de recherche active d’emploi, téléphonent à leur tour, question de tester l’employeur… Sophie, belge, obtient un rendez-vous le jour même et Guiseppe, italien, le lendemain.
Pour d’autres employeurs, le dialogue est possible quant à la nationalité ou à l’appartenance culturelle. Certains acceptent de retirer cette condition, d’autres non, pour ne pas perdre leur clientèle.

Une société de services a besoin d’une dame de cuisine. Nous sommes en plein Ramadan. L’employeur précise : « pas de musulmans car cela pose problème : ces femmes mangent pendant le travail car c’est l’heure pour elles, elles travaillent moins bien. Pas question d’avoir encore des problèmes ». Aïcha est en face de moi pendant que je reçois la communication. Elle a une petite expérience dans le domaine et vient souvent me voir. Elle veut du travail. Devant les raisons invoquées par l’employeur, elle me répond qu’elle fait le Ramadan mais que cela ne constitue pas un obstacle au travail : elle mangera après et sa santé est bonne. Devant sa bonne foi et sa volonté, je contacte l’employeur et arrive à le convaincre. Aïcha a été engagée et aucune plainte de l’employeur ne m’est parvenue, bien au contraire.

Une petite société recherche un chauffagiste qualifié. Un jeune Marocain tout nouvellement sorti de ses études techniques dans le domaine est intéressé par l’offre. L’employeur refuse de le rencontrer en invoquant l’attitude de sa clientèle : « J’ai déjà un ouvrier marocain qui travaille très bien, et j’en prendrais bien un deuxième, mais pour moi c’est une perte de temps car je dois chaque fois aller avec ce jeune pour rassurer mes clients et leur dire qu’il s’agit d’un de mes ouvriers. Je ne peux pas l’envoyer seul. Alors, engager un deuxième, vous comprenez ».

Nessim a 40 ans. Il est soudeur et a quelques années d’expérience. Il se présente chez un employeur à la recherche de soudeurs expérimentés. Lors de l’entretien, celui-ci signale qu’il ne veut pas engager de Turcs car il a déjà eu des problèmes avec des ouvriers turcs. Ce à quoi Nessim répond calmement « Il y a des mauvais Turcs comme il y a des mauvais Belges ; je suis un bon Turc, faites un essai et vous verrez ! ». L’employeur s’est laissé convaincre à la joie de Nessim. Son jour d’essai est concluant et il est engagé. Aux dernières nouvelles son employeur est satisfait !

Ces quelques témoignages illustrent la difficile recherche d’un emploi de ceux qui sont confrontés à la discrimination raciale. Néanmoins, pour ceux qui font le pari de leur accorder confiance, la « légitimité » d’un refus pour raison raciale ou culturelle apparaît comme totalement insignifiante voire médiocre…
Espérons que cette prise de conscience ne se fasse pas au détriment d’une génération mais s’affirme sans attendre !

Anne Brisbois
Psychologue dans un Service d’insertion socio-professionnelle en région bruxelloise