A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Faut il accorder le droit de vote aux émigrés (1979)

Oui, la question se pose. Devant les nombreuses prises de position, les diverses expériences des Conseils Consultatifs communaux, les propositions de loi déjà déposées en ce sens, mais aussi devant la montée du racisme que la crise ne cesse de provoquer, le problème mérite d’être posé comme une des solutions à la situation précaire et fragile que vivent les travailleurs immigrés et leurs familles.

Pourquoi un chrétien doit-il se préoccuper de cela ?

Si le problème est très discuté, il apparaît évident que, du point de vue chrétien, donner le droit de vote et d’éligibilité à tous les travailleurs immigrés, c’est dans la ligne de la reconnaissance et de la dignité des personnes proclamée par l’Evangile. Le Concile Vatican II, les déclarations des derniers papes et la Lettre des Eévêques de Belgique (1973), les différents mouvements chrétiens (Equipes populaires, Vie Féminine, ACI, etc...) soulignent tous l’importance de reconnaître aux travailleurs immigrés le droit de participer "à la vie politique du pays où ils résident", Et en cela, ils ne font que répondre aux aspirations profondes des immigrés, surtout les plus conscients et les plus responsables.

Car en nul autre domaine autant que dans le domaine politique, l’immigré ne se sent vraiment pas étranger et ne l’est pas en réalité. L’immigré, étant d’une autre nationalité, n’est-il pas celui qui par voie de conséquence, ne partage pas tous les droits et devoirs, les charges et privilèges des citoyens et des nationaux. Il éprouve d’autant plus vivement cette aliénation politique qu’en pratique, il n’est pas toujours en mesure d’exercer ses fonctions civiques dans son pays d’origine. Il en sera toujours plus ou moins ainsi aussi longtemps que le droit international ne s’adaptera pas davantage à l’évolution actuelle des relations entre les peuples dans le sens de la libre circulation des personnes comme des biens et des idées. Car l’exercice complet de la liberté dans la vie sociale est liée à la reconnaissance juridique de l’égalité foncière entre les hommes et les peuples.

Les lois fondamentales

En attendant, faut-il rester inactif ? La Belgique ne peut-elle pas innover et, par la même, commencer le processus d’évolution démocratique ? La Suède, également un petit pays, a depuis 1975 organisé le droit de vote et d’éligibilité aux élections communales et régionales. Pourquoi la Belgique ne pourrait-elle pas faire de même ? En 1830, les Chambres Constituantes du nouveau Parlement issu de la Révolution, se sont donné une Constitution réservant aux seuls Belges le droit de participer à la vie politique et cela pour se préserver de toute nouvelle intrusion étrangère dans sa vie politique. Sous la forme d’une monarchie parlementaire, elles optèrent pour la démocratie, c’est-à-dire pour un gouvernement par et pour les citoyens.

Evolution économique et sociale

Au départ de la jeune monarchie et suivant le contexte politique de l’époque, l’étranger était considéré comme une personne pouvant être un ennemi public cherchant à rétablir l’ancien régime ; les lois ont codifié cette situation.

Mais entre temps, surtout depuis 1945, les données économiques et sociales ont fortement changé. Et à l’initiative du pouvoir public et du patronat, la Belgique a dû recourir à de la main-d’œuvre étrangère pour accomplir les travaux que les nationaux refusaient à cause des conditions de travail et de bas salaires.

Les travailleurs immigrés apparaissent trop souvent comme des individus isolés se déplaçant pour leur compte à la recherche d’aventure ou de meilleur salaire. Ils ne sont pas maîtres de leur choix. Ils sont une masse de main-d’œuvre utilisée en fonction des besoins. économiques et démographiques dans le cadre de la division internationale du travail et servant à contrôler les revendications ouvrières ainsi qu’à résorber les tensions sociales. Ces travailleurs, tout en s’assurant par leur travail une vie décente, contribuent à l’essor et au développement économique du pays.

Il faut donc refuser toute vision individualiste, paternaliste (aidons les plus faibles) ou fonctionnaliste (les immigrés sont bons pour faire ce que les autochtones ne veulent plus faire) de l’immigration.

Ce rôle social et économique leur donne des droits ; certains leur sont déjà reconnus, tel le droit de vote et d’éligibilité aux élections syndicales, aux conseils d’entreprise et aux comités de sécurité et d’hygiène (depuis 1971). Ils participent de plein droit à des commissions paritaires, à des conseils culturels, etc...

Evolution politique

Depuis l’indépendance, l’idée que se font les citoyens tant belges qu’étrangers de la démocratie a aussi bien évolué. Au 19ème siècle, les citoyens croyaient pouvoir confier l’organisation de la vie politique uniquement aux riches et aux instruits. En 1919, la longue lutte du peuple pour abolir la discrimination politique basée sur l’argent et l’instruction a abouti au suffrage universel. Mais ce n’est qu’en 1948 que l’on mit fin à la discrimination basée sur le sexe en octroyant le droit de vote et d’éligibilité aux femmes.

Aujourd’hui, la présence des travailleurs immigrés bouleverse de nouveau les données démocratiques de la vie politique, 10 % de la population totale et 30 % de la population active sont privés du droit de participer aux décisions politiques. Pourtant, leur nombre compte pour l’élection des mandataires politiques et l’attribution de certaines fonctions publiques.

Leur accorder le droit de vote et d’éligibilité au plan communal, c’est leur donner le droit de choisir des représentants politiques qui prendront en charge la défense de leurs problèmes ; c’est aussi poursuivre les luttes menées antérieurement pour abolir toute forme de discrimination, c’est perfectionner la démocratie.

Quelle est la position de Justice et paix ?

En revendiquant le droit de vote et d’éligibilité au plan communal Pour tous les travailleurs immigrés résidant en Belgique depuis 5 ans, en promouvant une loi qui condamne les actes racistes et xénophobes. En exigeant pour les immigrés une sécurité de séjour et une possibilité légale d’exercer un droit d’expression et de participation, la Commission Justice et Paix croit, avec beaucoup d’autres, que c’est créer tant pour les Belges que pour les immigrés des conditions nouvelles de vie démocratique et de compréhension mutuelle.

La Commission Justice et Paix est consciente que la reconnaissance de l’apport économique, social et culturel des travailleurs immigrés, le prolongement des droits acquis par le travail, l’aboutissement d’une justice plus grande, et l’élimination des discriminations doivent trouver leur concrétisation dans la participation politique des immigrés.

La Commission Justice et Paix estime qu’il est du devoir de tous (chacun selon ses moyens) d’œuvrer pour faire aboutir cette légitime revendication. Elle s’engage pour sa part à faire tout son possible pour provoquer chez les responsables une volonté politique réelle d’aboutir pour 1982 et pour sensibiliser la population à cette revendication.

Commission diocésaine
Justice et Paix