A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Forest, ou la réalité occultée (2001)

Chacun de nous a eu droit aux « 1001 versions »
de ce que tout le monde a qualifié d’émeutes
à Saint-Antoine ( Forest). Tout le monde y a été de son anecdote,
de sa vision, de son « On m’a dit que … »

Et beaucoup ont malheureusement oublié de chercher le « pourquoi ».
A croire que nous sommes tous devenus des « bêtes »( car dénués de la substance qui nous en différencie de l’intelligence) prêtes à consommer toutes les « conneries » que la presse et les hommes politiques se sont empressés de nous balancer : actualité et période pré-éléctorale obligent !
Il serait donc essentiel de rappeler les faits qui se sont déroulés durant le mois de mai dernier. Faits qui n’ont représenté qu’une humiliation ( plus grande encore) de plus qu’une population habituée aux frustrations ( trop souvent occultées).

LA GOUTTE QUI A FAIT DÉBORDER LE VASE.

Vendredi 10 mai

Scénario classique à Forest : « contrôle routinier » de la police au sujet d’une moto appartenant à un jeune du quartier à la place Saint-Antoine.
Le jeune (Marocain) arrive. Un procès-verbal est dressé pour une plaque d’immatriculation pliée ; p.v. que le jeune accepte.
Après l’établissement du p.v., une discussion a été engagée lors de laquelle l’un des agents empoigne le garçon et veut le gifler. Le jeune part à la maison ( tout près) et revient avec son père ( + de 55ans). Ses sœurs arrivent aussitôt ( 18 et 25 ans).
Ce simple contrôle se termine par un tabassage de toute la famille ( le jeune, les deux soeurs, le père traîné par terre sur 5 mètres) ! Tout cela ayant pour témoins toutes les personnes présentes en cette soirée sur la place. En un clin d’œil, la place était bondée de policiers des différentes communes et de la gendarmerie. Le jeune s’est retrouvé au commissariat de Forest : dénudé et ne recevant pour parole que des termes « dégradant et racistes ».

Samedi 11 mai ( soir).

Les jeunes se sont rassemblés sur la place suite aux menaces qui auraient été envoyées par certains agents à travers des jeunes qui avaient été également arrêtés la veille.
Du style : « Vous avez gagné hier, mais on revient demain vous donner une leçon, sales bougnoules ». Déjà, une quinzaine d’ambulances étaient parquées près du parc de Forest. Des policiers sont descendus dans le café Cap Spartel et ont, sans motif, arrêté et malmené deux jeunes Marocains. Ce qui a, à nouveau, déclenché la colère des jeunes.

Inutiles de décrire la suite : toutes les forces de l’ordre, les forces anti-émeutes, les autos-pompes, … Les images auxquelles nous avons eu droit parlaient d’elles-mêmes.

Dimanche 12 mai.

Suite à l’appel au dialogue des autorités communales, tout le monde ( jeunes, parents, étrangers et Belges) les attendaient à la place. Les gens désiraient dialoguer sur place, tandis que les autorités ne venaient que pendant la nuit quand « le nettoyage » avait été effectué.
Finalement, à la place du dialogue, tous n’ont eu droit qu’à un nouveau matraquage : on a vu des femmes, des enfants, des vieux ( en dehors du cercle de la place) tabassés comme des bêtes ( il n’y a pas d’autres qualificatifs). On a parlé de 200 jeunes arrêtés ce soir-là. On omet de préciser que parmi ce nombre se trouvaient des personnes âgées, des femmes et des filles que l’on est venu prendre devant chez eux et que l’on a parqué à la place, pour grossir le chiffre ( c’est plus médiatique !).
Les médias ont « oublié » de montrer les images filmées des tabassages, des violations de domiciles,…
Là aussi, cette presse nous a démontré sa grande objectivité et son impartialité !

Lundi 13 mai et mardi 14 mai

Une délégation de jeunes désignée par les jeunes du quartier a été rencontrer le Bourgmestre, Mme De Galan, pour dialoguer.
Suite à toutes les discussions, un Comité des jeunes de Forest s’est mis sur pied pour porter les revendications de ces jeunes, devant les autorités locales. Une interpellation communale devant le conseil a été faite le 2/7/1991 par ce comité. Des promesses ont été faites aux jeunes. Jusqu’à maintenant aucune d’elles n’a été concrètement réalisée.

Il est à rappeler que le fait à l’origine des événements du vendredi 10 mai, n’a été que la goutte qui a fait déborder le vase : les cas de bavures ou de dérapages des policiers s’accumulent de plus en plus et les frustrations grandissaient par le fait de l’occultation systématique de ces méfaits. Nous étions étonnés de « l’étonnement » devant cette explosion, des autorités communales pourtant au courant de la situation depuis longtemps.

MÉDIAS, POLITIQUES ET RÉALITÉS

En période pré-éléctorale et face à une population ( les étrangers) ne présentant aucun intérêt pour les politiciens, tout le monde a voulu occulter les problèmes réels : bavures policières, décrochages scolaires, problèmes d’emploi, de logement, de loisirs, d’enseignement, de communication….

Par la stigmatisation toujours négative d’une frange de la population déjà défavorisée, en mettant en avant la seule excuse de sa différence culturelle ( frein à l’intégration ?), les politiciens masquent leur irresponsabilité et leur manque de compétences, face à la résolution des problèmes réels qui eux, touchent tout le monde ( Belges et étrangers ensemble).

Ces événements ont pu démontrer tout cela et constituent un signal d’alarme : il est temps de se pencher réellement et concrètement sur cette problématique, avant d’arriver à une situation incontrôlable.

L’ « APRÈS-FOREST ».

Des médiateurs sociaux ont été mis en place pour servir de « tampon » entre les autorités locales et la population ( tissu associatif compris). Ainsi que des assistants de concertation au niveau de la Police.
Ce sont des fonctions qui restent encore à définir et à cerner. Une chose est certaine : la fonction de médiation est nécessaire dans l’état des choses.
Mais cela ne doit pas servir à se donner bonne conscience et à continuer à théoriser.
Il est temps d’agir et de réaliser les promesses tenues.
Tout cela ne doit pas seulement se faire avec la bonne volonté de chacun ; les politiciens doivent comprendre une chose essentielle : ils doivent débloquer les moyens nécessaires et ce de façon systématique et à temps ( les subsides arrivent tout le temps en retard, ce qui oblige les associations à ouvrir des lignes de crédits à des taux d’intérêts exorbitants en attendant que les premiers sous arrivent ).
Qu’ils arrêtent d’exiger de réaliser ce qu’ils sont incapables aux-mêmes de faire : des miracles avec peu, souvent avec rien.

Nadia EL YOUSFI