A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

La naturalisation, une machine à rumeurs (1991)

Hafida Draoui est étudiante assistante sociale. D’origine marocaine, elle a choisi de devenir belge. Lors du stage qu’elle a effectué au CID, elle a réalisé des animations dans dix écoles bruxelloises autour de la problématique de la naturalisation.

Dans trois établissements, elle a fait circuler un questionnaire auquel ont répondu 47 élèves : 36 Marocains, 5 Belges, 2 Espagnols, ainsi qu’un Albanais, un Turc, un Italien et un Zaïrois. On ne peut pas parler d’un véritable sondage d’opinion, au sens scientifique du terme. Néanmoins, les réflexions de ces jeunes sont symptomatiques tant des rumeurs circulant à l’intérieur de la communauté maghrébine de la capitale que d’une méconnaissance de la législation en la matière.

Rumeur…

La rumeur qui vient en tête est celle concernant le nom que portera un « naturalisé ». A la question de savoir si « celui qui fait une demande d’octroi de la nationalité belge doit changer de nom », 25 élèves (soit 53 % ) ont répondu vrai. Cette rumeur se prolonge jusque dans la mort puisque 16 personnes ( soit 34 % ) croient « qu’en cas de décès en Belgique, un naturalisé belge se fait automatiquement enterrer en Belgique ».
Enfin, 13 élèves ( soit 28 % ) sont convaincus que « lorsqu’on s’est naturalisé, il faut obligatoirement changer de religion ». Ce même type de rumeur circule dans les milieux musulmans : « si on se naturalise et qu’on devient belge, il faut se convertir au christianisme ».

De même, 29 élèves (62%) pensent que le Maroc n’accorde pas la double nationalité et 25 personnes ( 53%) sont convaincus que la Turquie adopte la même attitude. Cela va même plus loin puisque 57% des sondés (27 personnes) pensent qu’un naturalisé, Marocain d’origine se voit, automatiquement retirer son passeport marocain. Incohérence avec la réponse à la question de savoir si « lorsqu’on obtient la nationalité belge, il faut obligatoirement renoncer à sa nationalité d’origine », seuls 9 élèves (19 %) en sont convaincus.

…..quand tu nous tiens

Le plus surprenant, c’est que ces questions ont été posées après trois animations. De plus, l’information était fournie par Hafida, elle-même issue de l’immigration maghrébine et ayant opté pour la nationalité belge, sans changer son nom ni sa religion. C’est dire si en matière de nationalité, l’irrationnel domine l’information complète qui avait été réalisée et suivie de manière fort attentive par les élèves qui posaient de nombreuses questions. Une irrationalité qui trouve son corollaire chez les Belges lorsqu’on discute avec eux, chiffres officiels en main, de l’inexistence de l’équation immigré = chômeur, délinquant ou plus simplement pilleur d’allocations familiales ou sociales.

Cette divergence profonde entre la réalité de nos lois et la perception des jeunes issus de l’immigration montre d’une part la pesanteur des héritages religieux, culturels et historiques auxquels ils sont confrontés comme on le verra plus loin dans ce dossier. Mais d’autre part, elle est aussi le reflet de l’image que la Belgique et plus généralement l’Europe – donne d’elle-même à ces jeunes : peu accueillante, fermée, ultra-utilisatrice. Une image, on les comprend, qui n’a rien d’excitant.

Remarque : Cet article est paru dans « Acidulé », périodique bimestriel du C.I.D. Ad Doc. Il s’inscrit dans le numéro de juin-juillet 1991 « Devenir Belge une fois », consacré aux modifications concernant le code de la nationalité.
L’article ci-dessus nous donne un aperçu des rumeurs qui circulent parmi les jeunes d’origine immigrée autour de la naturalisation et de la nationalité belge.

C.I.D. Ad Doc(Centre d’Information et de Documentation).