A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Le racisme et sa répression dans la loi belge (1990)

Historique

Le racisme est un sentiment latent en toute société humaine.
Cependant à certaines périodes et souvent lors des crises économiques, ce sentiment se manifeste de manière plus flagrante et peut, si on le laisse se développer, aboutir à l’horreur, l’extermination, l’Holocauste.
Après la seconde guerre mondiale, les populations d’Europe Occidentale ont découvert souvent avec honte le sort qui avait été réservé au peuple juif et ont été quasi unanimes pour condamner sévèrement l’attitude et la pensée nazies.
Il ne fallut pourtant pas attendre longtemps pour assister à une renaissance de certains mouvements antisémites en Allemagne Occidentale et à l’éclosion du « néonazisme » dans notre pays.
Dès la fin des années 50 cette situation va inquiéter certains de nos parlementaires et en réponse à ces préoccupations deux propositions de loi seront déposées en 1960, l’une au Sénat par M. Rolin Orban, Georges, Derbaix et Vermeylen et l’autre à la Chambre par MM. Moulin et Dejace.
Toutes deux ont un objet semblable qui consiste à réprimer les manifestations de racisme et d’antisémitisme.

Malheureusement ces propositions ne seront jamais transformées en loi et il faudra attendre jusqu’au premier décembre 1966 pour qu’une nouvelle proposition soit déposée à la Chambre par Monsieur Glinne.

Ce nouveau texte avait, par ailleurs, un objet plus étendu que ses prédécesseurs, car il visait également la protection des étrangers qui arrivaient de plus en plus nombreux dans notre pays, pour participer à l’essor industriel.

Le premier pas vers le texte actuel de la loi avait enfin été réalisé, mais il faudra beaucoup de ténacité à ceux qui soutenaient cette proposition et notamment à MM. Glinne et Dejardin qui redéposeront ce texte régulièrement pour qu’enfin l’on aboutisse en 1978 et 1979 à la discussion générale du texte par la Commission de la Justice.

Parallèlement le texte de cette proposition de loi sera également déposée au Sénat le 29 novembre 1980 par un ensemble de Sénateurs de différents partis politiques. De plus, elle à également reçu le soutien de nombreuses associations politiques, philosophiques ou religieuses, telles que la Ligue belge de Défense des Droits de l’Homme, le MRAX., OXFAM, les évêques de Belgique, les Conseils Consultatifs des Immigrés….
Ce sont les efforts conjoints de cette multitude d’individus et de groupements tout au long de 15 années qui ont permis d’arriver enfin au vote de la loi du 30.07.81 (publication au Moniteur belge le 8 août de la même année).

Droit en matières annexes

Le besoin de légiférer sur la situation des étrangers s’est également fait sentir en Belgique dans d’autres domaines que la lutte contre le racisme.
En effet, à ce sujet il peut être mentionné notamment la loi du 15.12.80 sur le Statut des Etrangers(accès, séjour, établissement et éloignement) qui a clarifié et amélioré sensiblement leur situation dans notre pays.
D’autre part, notre loi du 30.07.81 s’inscrit encore dans un courant législatif international.
En effet, le Conseil de l’Europe avait adopté le 31.10.68 une résolution sur les mesures à prendre contre l’incitation à la haine raciale et nationale.
Parallèlement, à un niveau international plus étendu, le 7 mars 1966, une convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciale avait été votée à New York à la quasi unanimité des voix.
Le 9 juillet 1975, une loi belge approuvait cette convention et engageait ainsi la Belgique à introduire dans sa législation interne les principes qui y étaient précisés, ce qui rendit urgent l’adoption de la proposition de loi de Monsieur Glinne.
Enfin, certains de nos voisins européens ont également établi des textes législatifs destinés à lutter contre le racisme et la xénophobie.
La Grande Bretagne fut le premier à adopter une législation interne en la matière, par le premier Race Relation Act, entré en vigueur en 1965.
La France également a fait un effort en ce sens, qui s’est concrétisé dans la loi du 2 juillet 1972 concernant la lutte contre le racisme ainsi que dans celle de 1977 qui rend punissable les actes ou omissions qui contribuent à rendre plus difficile l’exercice d’une activité économique. L’on peut encore citer, par exemple, la République Fédérale d’Allemagne qui en 1973 a introduit dans son Code Pénal un texte destiné à réprimer l’incitation à la haine raciale.

Utilité des lois

Le racisme et la xénophobie ne naissent évidemment pas d’une lacune dans une législation. Ces attitudes et sentiments sont plutôt favorisés par une situation politique, économique ou sociale, peu satisfaisante ou par certaines formes d’éducation.
Il semble donc évident qu’il ne suffit pas d’une loi pour résoudre les problèmes que peut poser la haine de l’étranger mais qu’il faudrait arriver à modifier les sentiments en profondeur. Mais il s’agit là d’un effort de longue durée qui devrait en effet pour être efficace s’étendre sur plusieurs générations et toucher tous les aspects de la vie sociale, économique et politique car, en réalité, cela revient à vouloir changer les habitudes de pensée d’une population donnée.
Entre-temps il est cependant possible de lutter efficacement contre les manifestations les plus visibles et les plus pénibles de la xénophobie en promulguant et en faisant respecter des textes législatifs qui les répriment.
Le Législateur belge en adoptant la loi du 30 juillet 1981 était conscient de l’insuffisance d’un texte législatif pour modifier la situation en profondeur.
Il a partout voulu franchir une étape vers le respect des droits des étrangers et cela dans le cadre de nos obligations légales internationales.

La loi belge du 31.07.81

La loi du 31.07.81 trouve donc sa genèse dans deux axes qui se rejoignent. Le premier consiste en la crainte ressentie devant la reconnaissance des nazis et antisémites, le second étant le désir de protéger les étrangers vivant en Belgique des injures et des actes de malveillance basés sur la nationalité ou religion. Pour rencontrer ces préoccupations, le législateur a adopté un texte répressif, c’est-à-dire une loi qui rend punissable certains actes de « discrimination raciale. »
Mais le premier problème qu’il fallut résoudre fut de déterminer ce que recouvrait cette notion.

Article 1
La convention Internationale de New York que la Belgique s’était engagée à transcrire dans la législation interne, avait retenu comme causes de discrimination, la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.
La loi belge qui tend à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie a repris textuellement ces mêmes causes de discrimination. En effet à son article 1er, ce texte a prévu de punir de peines d’emprisonnement ou d’amendes quiconque aura, dans certaines circonstances, incité à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe pour une des causes susmentionnées.

Il punit également celui qui donne une publicité à son intention de pratiquer une discrimination raciale. Mais il s’agit là, déjà, d’un autre problème qui s’est posé à notre législateur. En réalité, ce que les défenseurs de ce courant législatif voulaient combattre, c’est le racisme lui-même, c’est-à-dire, une attitude d’esprit, un sentiment.
En conséquence, le risque était donc grand d’aboutir à un délit d’opinion. L’esprit démocratique implique en effet que chacun puisse avoir sa propre opinion. Il est de plus extrêmement dangereux de sanctionner les pensées, car cela peut aboutir à des excès et notamment à permettre de poursuivre et punir des êtres humains sur base de leurs pensées supposées sans qu’ils n’aient en fait réalisé aucun acte dommageable pour autrui. Il était donc indispensable de se limiter à réprimer, non pas une opinion raciste xénophobe mais plutôt les manifestations tangibles de cette opinion.

C’est pourquoi l’article 1 de la loi du 31.07.81 ne vise pas le racisme en tant que tel mais l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence lorsqu’il s’accomplit suivant certaines formes de publicité. Ce texte relativement large quant aux manifestations qu’il englobe, présente, pourtant, des difficultés d’interprétation. En effet, les magistrats qui ont à l’appliquer, doivent dans chaque cas d’espèce déterminer si les faits en cause démontrent l’existence d’un des comportements visés par la loi et s’il a été motivé par une des causes précisées dans ce même texte.

Un exemple peut aider à comprendre ce problème d’interprétation : lorsqu’un magistrat doit déterminer s’il y a eu un meurtre, il peut fonder son opinion sur la matérialité des faits c’est-à-dire dans notre exemple fictif, l’existence d’un cadavre avec éventuellement un couteau planté dans son dos.

Par contre, il est beaucoup plus difficile de se baser sur des faits matériels évidents lorsque l’on doit déterminer s’il y a eu incitation à une haine basée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine. Parallèlement, toute discrimination n’est pas, en soi, condamnable, le droit à la différence étant en effet reconnu. Mais ce qui est punissable c’est la discrimination qui entraîne une dépréciation d’une personne ou d’un groupe en fonction de leur différence, raciale, ethnique.

En résumé, l’article 1 de notre loi concerne donc l’incitation au racisme ou à la xénophobie et, sa difficulté principale me semble être d’éviter d’en faire un délit d’opinion.

Article 2
Cet article concerne plus spécialement les actes discriminatoires eux-mêmes et précise la notion puisqu’il sanctionne les actes discriminatoires commis lors de fourniture de biens ou de service dans les lieux publics.
Par exemple, cet article interdit à un commerçant de ne pas servir un client parce que celui-ci n’aurait pas la ‘bonne’ couleur de peau ou ne professerait pas la ‘bonne’ religion.
Cependant cet article, malgré son importance, a une portée relativement restreinte puisqu’il se limite aux lieux accessibles au public. Il ne vise notamment pas les discriminations à l’embauche ou le refus de location d’immeubles.

Article 3
L’article 3 de la loi du 30 juillet 1981 sanctionne d’emprisonnement ou d’amende « quiconque fait partie d’un groupement ou d’une association qui, de façon manifeste répétée, pratique la discrimination raciale ou prône celle-ci. »
Cet article va en conséquence permettre de poursuivre des personnes qui font partie d’un groupement qui fait souvent de manière évidente acte de discrimination même s’il n’est pas prouvé que la personne en cause a participé directement à la comission de ces actes.

Article 4
Un aspect important de la vie publique est envisagé par cet article. En effet il sanctionne les fonctionnaires, agents publics, représentants des autorités qui refuseraient arbitrairement l’exercice d’un droit ou d’une liberté à une personne ou à un groupe en raison de la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.

Article 5
Enfin, l’article 5 est celui qui a suscité le plus de controverses car il accorde à certaines associations le droit d’agir en justice pour faire respecter les règles précisées par les 4 articles précédents.

Or ce principe est relativement inhabituel par rapport au droit belge traditionnel qui n’accorde le pouvoir de saisir la justice que, d’une part, à la société belge représentée par les fonctionnaires spécialement chargés de cette mission et d’autre part, personnellement à l’individu victime d’une infraction.

Par contre depuis la loi du 30.07.81, certaines associations et établissements d’utilité publique qui ont prévu dans leurs statuts la défense des droits de l’homme ou le combat contre la discrimination raciale pourront agir en justice contre un délinquant qui n’aurait pas nui à l’association elle-même. Ce pouvoir est cependant limité principalement par deux conditions, l’une étant que l’établissement ou l’association en cause jouisse de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits, et l’autre consistant en l’obligation d’obtenir dans certains cas l’accord préalable de la victime. Comme nous pouvons le constater la Belgique a franchi une étape importante dans la lutte contre les discriminations raciales en adoptant la loi du 31.07.81.
En effet ce texte tend à réprimer un certain nombre de comportements extrêmement nuisibles pour une vie en société qui accepterait réellement le droit à la différence.
Malheureusement, et peut-être inévitablement, ce texte présente des lacunes et certaines difficultés d’interprétation. Il faut reconnaître, par ailleurs, que ses défenseurs n’ont jamais eu l’ambition de résoudre ainsi la totalité du problème des discriminations raciales en Belgique.

Jurisprudence

Il y a maintenant plus de 7 ans que la répression du racisme et de la xénophobie a fait l’objet d’une loi. Il faut cependant constater avec étonnement qu’il n’existe à ce jour, que quelques très rares décisions juridiques qui condamnent des délinquants sur base de ce texte.
Pourtant des plaintes sont régulièrement déposées mais la plupart d’entre elles sont classées sans suite.
A Bruxelles, par exemple, il y aurait eu en 1985 et 1986 343 plaintes dont 317 auraient été classées sans suite ! De plus, lorsqu’enfin, une affaire de discrimination raciale arrive devant les tribunaux, ceux-ci semblent être souvent réticents à condamner sur base de la loi en cause.

Quelques exemples de décisions

Le premier ensemble de décisions qui sont dignes d’attirer l’attention concerne l’emploi des mots « bougnoul » et « raton ».
L’article 1 de la loi du 30.07.81 fut la première fois utilisé lors de poursuites contre un individu qui avait utilisé « bougnoul » dans une invitation toute boîtes. En cette affaire, les organisateurs d’un bal avaient interdit l’entrée au « bougnoul ».
Cependant, ni la Chambre du Conseil, ni la Chambre des Mises en Accusation qui a eu à connaître de cette cause en degré d’appel, n’ont estimé devoir reconnaître l’existence d’une infraction et l’affaire fut l’objet d’un non-lieu. Ces deux juridictions ont, pour motiver leurs décisions, suivi la thèse du prévenu qui avait soutenu que le terme employé ne désignait pas des étrangers mais plutôt des gens ‘mal habillés’, la Chambre des Mises en Accusation a estimé, en outre que, le mot « bougnoul » n’est pas nécessairement injurieux !
Cependant, en cette matière précise, un jugement du 23.12.87 du Tribunal Correctionnel de Charleroi nous permet d’espérer que cette jurisprudence ne sera pas suivie par les autres tribunaux du pays.
En effet, le Tribunal de Charleroi a reconnu que le terme ‘raton’ qui avait été utilisé en l’espèce, est synonyme de « bicot’ ou de « bougnoul » et est une injure raciste.

Le second ensemble de décisions concerne un Conseiller communal qui avait insulté un adversaire politique par les mots ‘sale Juif’. Ces termes furent reconnus comme une injure raciste proférée dans les circonstances de publicité exigées par la loi, et le prévenu a donc été condamné.
Cependant, une autre procédure intentée dans la même affaire n’a pas abouti. Dans ce dernier cas, 2 individus étaient poursuivis pour avoir diffusé des documents comportant des caricatures et des textes attaquant des adversaires politiques (dont la personne insultée suivant les mots « sale juif »). Pourtant ni le Tribunal Correctionnel ni la Cour d’appel n’ont condamné ces prévenus alors que les documents en cause reproduisaient les portraits des adversaires politiques par des dessins qui les présentaient sous l’aspect caricatural du juif typique et que de lourdes allusions à la trahison de Judas y étaient reprises. Les prévenus avaient donc clairement fondé leur propagande politique sur le fait que leurs adversaires étaient juifs en faisant un défaut, une tare.
Malgré cette évidence, le Tribunal Correctionnel les a acquittés. La Cour d’Appel a réformé ce jugement mais sans condamner estimant qu’il s’agissait d’un délit de presse, pour lequel, seule la Cour d’Assises est compétente.

Le troisième groupe de décisions concerne un cas critique de discriminations raciales c’est-à-dire le refus de servir un étranger. En l’espèce, les tenanciers d’un débit de boissons étaient poursuivis pour avoir refusé de servir à boire à des étrangers. Le Tribunal de Namur saisi de cette cause a reconnu que les faits étaient établis mais a cependant acquitté les prévenus au bénéfice du doute, estimant que le motif du refus de servir n’était pas suffisamment prouvé ; Pourtant un des témoins avait entendu la phrase « on ne sert pas les étrangers » et aucun autre motif à ce refus n’avait pu être avancé par les prévenus.
Cette décision a heureusement été réformée en degré d’appel et les prévenus furent finalement condamnés.

Il faut encore signaler une décision du 30.12.87 par laquelle le Tribunal Correctionnel de Bruxelles a condamné un jeune Marocain pour avoir injurié un de nos hommes politiques.
Cette décision semble paradoxalement extrêmement sévère car elle est uniquement basée sur une affirmation du plaignant.

Un cas est digne d’intérêt en ce qu’il met en cause une organisation qui pratiquerait de façon manifeste et répétée la discrimination raciale en l’espèce une association qui avait pour but de lutter contre l’immigration non-européenne. Le Tribunal Correctionnel de Bruxelles a cependant acquitté les prévenus, notamment aux motifs que "l’objet de l’association s’étend au-delà du seul problème de l’immigration » et que « l’immigration est un phénomène social et non racial ». Il avait pourtant, par ailleurs, reconnu « que les propos ou écrits de l’association en cause paraissent outranciers et certainement blâmables ».
La Cour d’Appel a ensuite confirmé ce jugement.

Conclusion

Il y a, en fait, fort peu de décisions, ce qui rend difficile la détermination des tendances de la jurisprudence. Cependant, le très petit nombre de condamnations en la matière fait déjà apparaître que nos magistrats semblent réticents à utiliser la loi du 30.07.81.
De plus, les quelques décisions obtenues sont souvent contradictoires entre elles et font apparaître des lacunes de la loi.
L’on peut citer par exemple le problème du délit de presse.
La loi de 1981 ne permet en effet pas de déterminer avec précision la juridiction compétente pour statuer sur la diffusion d’écrits comportant des incitations à la discrimination.

Simone LUCKI, avocate