A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Refus d’inscription au quotidien (1983)

Depuis septembre 1981, une partie importante des dossiers "consultants" ouverts au centre, ou repris dans la masse des dossiers anciens, comportent un problème de refus d’inscription.

Il est impossible d’évaluer le nombre de personnes de nationalité étrangère qui en ont été victimes et qui le sont encore quotidiennement.
La pratique de violation de la loi, inaugurée par le Bourgmestre de Schaerbeek en septembre 1981, s’est poursuivie depuis et s’est instaurée progressivement, comme par contagion, dans de nombreuses communes de l’agglomération bruxelloise.

Aucun chiffre officiel n’est donné. Les refus sont parfois notifiés aux intéressés par écrit, mais sans justification individuelle. Il arrive plus souvent qu’ils leur soient signifiés verbalement par l’employé du guichet. Ou bien l’attente d’une décision est indéfiniment prolongée.
Des décisions favorables sont parfois prises "au cas par cas", selon les interventions sollicitées et obtenues et selon des critères subjectifs "d’étrangers souhaités ou non-souhaités". Ces critères se basent, semble-t-il, sur le statut salarial de l’intéressé, mais aussi sur ses charges de famille et sa nationalité.

Les immigrés concernés se signalent à l’un ou l’autre service social ou comité de quartier, à leur syndicat, s’adressent à un avocat, ou bien ils attendent dans des sentiments qui semblent souvent être d’une grande passivité.

Impossible donc de les dénombrer.

Rappelons les catégories de personnes touchées, et le fait que toutes remplissent les conditions requises pour séjourner légalement dans le pays. Il s’agit :

§de familles rejoignant, sur base de l’autorisation au regroupement familial, l’époux travailleur déjà installé en Belgique,
§de familles, d’étudiants, de réfugiés politiques transférant leur domicile d’une commune à l’autre,
§d’étudiants ou de candidats réfugiés politiques venant d’arriver dans le pays,
§de nouveaux-nés...

Les refus d’inscription représentent pour le centre d’accueil du MRAX une grande surcharge de travail, étant donné la multiplicité et la gravité des conséquences qui en découlent.

Quelles sont ces conséquences ?

Nous les détaillerons d’abord et en donnerons ensuite les illustrations.

Pour ceux qui bénéficieraient normalement du regroupement familial :

§séjour illégal ;
§refus d’inscription des enfants à l’école, ce qui entraîne le défaut d’enseignement, le désœuvrement et ses conséquences.
§impossibilité d’obtenir un permis de travail pour l’époux(se) et les enfants en âge de l’avoir, ce qui tendrait à favoriser le travail clandestin ;
§pas d’allocations familiales, pas d’inscription à la mutuelle et donc de couverture des soins de santé.

Pour les personnes qui ont demandé leur transfert d’une commune à une autre :

§séjour illégal ;
§refus d’inscription des enfants à l’école du nouveau lieu de résidence ;
§impossibilité de toucher des assignations postales représentant, entre autres, les indemnités de chômage, de maladie, les allocations familiales .

Pour les candidats réfugiés politiques arrivant dans le pays :

§séjour illégal ;
§pas d’aide sociale en dehors de la première "aide d’urgence".
§pas de possibilité d’obtenir un permis de travail d’où tentation du travail clandestin,

Pour les étudiants :

§séjour illégal ;
§répercussions au niveau des inscriptions scolaires définitives, des exemptions éventuelles du minerval, des homologations de diplômes, de la délivrance des permis de travail d’étudiant, d’accès au logement, d’accès au compte bancaire ...

De tout cela découle un désordre extrême, qui marque la désapprobation d’une partie des administrations et l’accord de certains. En effet :

Certaines caisses d’allocations familiales font usage du caractère licite de baser l’octroi des allocations sur la production de deux attestations testimoniales établissant que les enfants résident bien à l’adresse de l’attributaire et y sont élevés par la mère.

Certaines mutuelles se basent soit sur la preuve de l’octroi des allocations familiales, soit sur le visa d’entrée délivré par le consulat de Belgique du pays d’origine, pour inscrire les familles en tant que bénéficiaires des soins de santé.

Beaucoup d’écoles refusent l’enseignement aux enfants. D’autres exigent le paiement du minerval, prohibitif pour beaucoup de familles. Heureusement. il y a des écoles plus accueillantes qui reçoivent les enfants sans les déclarer.

Des employés de poste compréhensifs paient quand même les assignations...
Mais il s’agit toujours de décisions arbitraires et dont l’obtention nécessite de nombreuses démarches et, généralement, l’intervention des services sociaux.

Quelques exemples :

1.Monsieur X réside depuis longtemps en Belgique et y travaille régulièrement. Il se marie au Maroc en novembre 1981 et fait les démarches nécessaires pour obtenir le bénéfice du regroupement familial pour son épouse. La commune de Schaerbeek refuse cependant son inscription et oppose aux demandes d’explication le texte de la loi de 1952 ! Loi abolie par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi votée le 15 décembre 1980.
Monsieur X s’adresse au Ministère des Affaires Etrangères et à l’Office des Etrangers qui lui répondent tous deux qu’ils ne sont pas habilités à intervenir dans les affaires communales. Cependant, il était convenu que le jeune couple habiterait à Schaerbeek dans la maison achetée par les parents un an auparavant ; elle est assez spacieuse pour abriter toute la famille et maintenir son unité. Mais elle a été achetée à crédit et est remboursable à raison de 27.000 francs par mois ; il est donc indispensable que les fils mariés y contribuent. D’autre part, le contrat d’emprunt prévoit expressément que la maison ne pourra être louée tant que l’emprunt ne sera pas remboursé. Le refus illégal d’inscription vient bouleverser cet arrangement. Le jeune couple devrait se faire domicilier ailleurs et la famille, faute de sa participation, devrait vendre la maison !

2.Monsieur H. est turc et réside en Belgique depuis 1966. Il se marie en juillet 1981. Son
épouse obtient le visa d’entrée au consulat de Belgique en Turquie et rejoint son mari à Schaerbeek où l’inscription lui est refusée par écrit le 13 octobre 1981.
Le couple se fait alors domicilier à Bruxelles, tout en résidant effectivement à Schaerbeek. Mais Bruxelles effectue un contrôle de résidence réelle et refuse de prolonger la domiciliation.
Madame H. met au monde un enfant qui n’obtient pas davantage l’inscription.

Actuellement, 21 mois après, Madame H. et l’enfant sont toujours en illégalité. Les allocations familiales sont en souffrance. Et Monsieur H. touche les indemnités de chômage selon le code inférieur de "célibataire".

3.Monsieur et Madame B. habitent un taudis à St-Gilles avec leurs huit enfants. Après de longues et vaines recherches, ils trouvent enfin une maison unifamiliale à Schaerbeek. Elle est suffisamment spacieuse et Monsieur B. qui est au travail depuis 10 ans chez le même employeur n’a pas de problèmes à en assumer le loyer.
Mais Schaerbeek leur refuse l’inscription. Et se met en mouvement tout le processus des difficultés et des vexations...

4.Monsieur H. est marocain et vit en Belgique depuis 20 ans. Son épouse et deux de leurs trois enfants le rejoignent en 1978. L’aîné reste au Maroc auprès des grands-parents, puis rejoint la famille en 1981. L’inscription lui est refusée après de longs mois d’atermoiements. « Comme dit l’employé communal : on ne veut plus des immigrés ici. Mon enfant risque de perdre son année scolaire. De plus, on me demande de payer le minerval. Je ne sais plus quoi faire ! Ma femme n’arrête pas de pleurer et moi-même je deviens malade dans ce pays qui se dit démocratique. Comment peut-on vouloir séparer un enfant de sa famille ? »

Que font les assistants sociaux et le service juridique du centre d’accueil devant les cas de refus d’inscription ?

§Mobiliser les personnes et les amener à un esprit de solidarité et de revendication collective. Ce n’est pas facile car la perte de confiance dans les pouvoirs publics est totale et le découragement profond.

§Utiliser les pistes décrites plus haut pour obtenir quand même la couverture des soins de santé, les allocations familiales, l’accès à l’école pour les enfants ...

§Envisager et introduire les recours mis à disposition : recours gracieux auprès du Collège des Bourgmestres et Echevins, ce qui permet au moins d’espérer une notification écrite du refus, recours organisés auprès du Gouvernement Provincial et du Ministre de la Tutelle, recours judiciaires devant le Conseil d’Etat et les tribunaux ordinaires.

Le plus difficile est de canaliser les sentiments d’injustice subie vers une action solidaire et déterminée de défense de ses droits, et d’éviter les réactions agressives incontrôlées, le racisme à rebours qu’engendre surtout l’impossibilité de se projeter dorénavant dans l’avenir.

Nos problèmes actuels de société sont graves.
Les pouvoirs publics sont inexcusables d’y ajouter le déni de droit, le mépris des personnes et un racisme institutionnel scandaleux.

Quelle voie prend notre "démocratie", si ce n’est celui de la dérision ?

L’équipe du centre d’accueil
MRAX