A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Schaerbeek Violence et Xénophobie (1986)

Le 23/5/1986, le bourgmestre Nols prenait une ordonnance prétendument fondée sur l’extrême urgence, interdisant les attroupements et rassemblements de plus de 5 personnes sur le territoire de Schaerbeek du 23 mai au 10 juin 1986. « Les attroupements ou rassemblements seront dispersés par la force » prévoyait la même ordonnance qui visait à prévenir « des troubles graves mettant en péril la sécurité publique ».
Dès la publication de l’arrêté, le front antiraciste de Schaerbeek appela à une manifestation contre cette violation ouverte de la liberté constitutionnelle de s’assembler paisiblement.

Coucher de soleil à Schaerbeek.

Le 27 mai, à 22 heures, 200 personnes venaient braver l’interdiction de Nols devant la maison communale, dénonçant le couvre-feu comme une atteinte aux libertés et comme une vexation particulière à l’égard des musulmans de la commune. Le Ramadan a en effet pris fin le 10 juin.

Le couvre-feu également. Les musulmans respectent le jeûne toute la journée pendant le Ramadan et, le soir venu, se rendent à la Mosquée. Ce n’est qu’au coucher du soleil qu’ils s’égaylent dans les rues pour les réjouissances du soir. A 10h, la rue est le lieu où les fidèles se regroupent en famille, entre amis ou entre voisins. L’instauration de couvre-feu correspondant exactement à la durée du Ramadan n’est pas une coïncidence.

La manifestation s’était déroulée calmement et dignement. Vers 22h30, après la dispersion des manifestants, la police s’approchait d’un groupe s’éloignant de la place Collignon. Plusieurs policiers assaillirent alors trois manifestants après les avoir invectivés, sans que le moindre trouble justifie une quelconque intervention. Sans sommation, un policier s’est déchaîné à la matraque sur un homme de 56 ans et sur son fils. Frappés brutalement, les deux hommes durent être admis à l’hôpital où l’un d’eux, le père est resté une semaine, victime d’une commotion cérébrale.

« Dispersion par la force » disait l’Arrêté du bourgmestre. Pour cette fois, c’était réussi ! Le lendemain, Nols déclarait « Si ces manifestants n’étaient pas venus vers la maison communale, nous n’aurions sans doute jamais dû intervenir » ! Les victimes ont porté plainte contre les policiers responsables. Rien n’indique à ce jour que ces derniers aient été identifiés et que le Parquet ait entamé des poursuites.

La tutelle se cache.

Dès la publication de l’ordonnance, 17 Schaerbeekois introduisaient un recours en suspension auprès du Gouverneur de la Province.

De même, ils demandaient au Ministre de la Région bruxelloise de Donnéa, autorité de tutelle, d’annuler la mesure anticonstitutionnelle.

Le 5 juin, le Conseil communal se réunissait. Auparavant, le Front Antiraciste de Schaerbeek et la Ligue des Droits de l’Homme avaient adressé à chacun des conseillers communaux une lettre attirant leur attention sur l’atteinte grave aux libertés que le bourgmestre leur demandait de ratifier. A huis clos et à une large majorité, le Conseil communal avalisait son bourgmestre, prolongeant le couvre-feu, jusqu’au trente juin. Satisfait de sa « victoire », Roger Nols s’est dit « persuadé qu’au-delà de cette date, les choses iront mieux. Les fauteurs de troubles retournent en vacances au Maroc ou en Turquie ».

Le 19 juin, une délégation de Schaerbeekois s’est rendue au cabinet du ministre de la Région bruxelloise pour remettre à Monsieur de Donnéa une pétition signée par 250 personnes demandant l’annulation immédiate du couvre-feu, et pour s’enquérir des suites de leur recours. Il leur fut rétorqué que, suite au dépôt du recours, le ministre se demandait s’il avait vraiment le pouvoir d’annuler un arrêté de police d’un bourgmestre ou si cette tutelle ne relevait pas plutôt de la compétence du ministre de l’Intérieur. Ce déni de responsabilité s’est prolongé jusqu’au 30 juin. Le ministre s’est ensuite empressé de déclarer que, le dossier était clos, il ne comptait pas intervenir. La section bruxelloise de la Ligue des Droits de l’Homme ne partageait pas ce point de vue. En juillet, elle adressait au Ministre de Donnéa une lettre ouverte lui demandant de « traiter sans délai les recours en annulation introduits depuis le début du mois de juin par des habitants ». Il est vrai que l’annulation de l’ordonnance reste nécessaire après l’expiration de son délai d’application : le désaveu légal par l’autorité de tutelle devra décourager les pouvoirs locaux de prendre des mesures du même type à l’avenir. En outre, si des poursuites ont été dirigées contre des contrevenants au couvre-feu, il importe de dire que la mesure étant nulle, son inobservation ne peut être punie.

Depuis, on attend une décision du Ministre, d’autant que ce dernier s’est vu remettre le 10 juillet un rapport du Gouverneur du Brabant favorable à l’annulation. Au-delà des objections relatives à l’incompétence prétendue du Ministre, qui ne résistent pas à l’analyse, l’abstention de Donnéa est une incompétence politique : aucun homme politique ne souhaite affronter Nols.

Toute la vérité.

Nols de son côté persévère. Au moyen de fonds que nous imaginons publics, il a édité et fait distribuer dans les écoles de Schaerbeek un extrait de sa prose intitulée « Drogue mon amour-
un super Hiroshima ». Sous ce titre baudeléro-durassien, Nols soumet à l’esprit, qu’on espère critique, des élèves schaerbeekois, le résumé de 22 pages de toutes les grandes vérités qu’une lecture trop confiante de Tintin, de Vlan et de Sélection du Reader’s digest a gravé dans son esprit : Notre jeunesse est droguée, prostituée, découragée, pacifiste, mal informée….

Cette situation alarmante est due aux patrons de la drogue et de la prostitution et aux terroristes qui, quoique tirant bénéfice de leur activité de substantiels bénéfices, n’agissent pas proprio motu : c’est Moscou qui fournit la drogue et tire les ficelles. Conclusion : il faut rétablir la peine de mort.

Autres responsables : les immigrés nord-africains. « Le bouillon de cultures n’est pas responsable des bactéries qui y prolifèrent, précise Nols, mais sans lui, les bactéries ne pourraient se multiplier ». « Les immigrés nord-africains fournissent un milieu favorable au trafic de la drogue ». La preuve ? « Qu’on se souvienne des assassins, « les haschichins », ainsi nommés parce que leur grand maître s’assurait leur obéissance en les droguant au haschich ». Si cela ne suffit pas, sachez que « la police a découvert des kilos de stupéfiant dans des véhicules de vacanciers marocains rentrant dans leur pays ».

Nombreuses sont les personnes qui, ayant eu connaissance de la brochure, ont fait connaître leur indignation. La réaction la plus intéressante a été adressée aux journaux par une douzaine d’élèves du lycée Emile Max ; »Nous avons été choqués par l’abus de pouvoir commis par Monsieur Nols (…) Il y a dans cette brochure un amalgame de thèmes tout à fait différents (…) dangereux pour les élèves des classes inférieures n’ayant pas de formation politique ».

Enfin, le trente juillet, Nols déclarait à propos de l’arrestation de sa propre fille, inculpée de détention de stupéfiants : « La fréquentation de milieux immigrés présente un risque particulier ». Il n’en rate pas une. Cette fois, n’en fait-il pas trop ?

Hervé LOUVEAUX