A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Travailleurs immigrés classe ouvrière et syndicats (1979)

Traduction faite par le MRAX (texte relu par un des auteurs) du chapitre II de « Gastarbeider lotgenoot en landgenoot » de M. AERTS et A. MARTENS,
ed. KRITAK.

1) Immigration de travailleurs étrangers, stratégie d’embauche du patronat

Le chapitre précédent (1) nous a permis de préciser les fonctions, la place et les conditions de travail qui sont assignées aux immigrés dans le processus de production.

Elles ne sont aucunement le fait du hasard, mais le résultat d’une politique d’immigration menée depuis 45 ans et à l’aide de laquelle le patronat a tenté systématiquement d’aiguiser la concurrence entre travailleurs étrangers et belges.

En mettant en compétition les uns et les autres pour les mêmes occupations, il peut, en effet, choisir et embaucher les moins revendicatifs. Il n’est même pas nécessaire d’améliorer les conditions de travail puisque les travailleurs embauchés ne sont pas en mesure d’exiger ou de faire pression.

A long terme, le résultat en est une dévalorisation générale du travail manuel, indispensable au maintien des rapports de production capitaliste et, plus spécifiquement encore, à la lutte contre la baisse tendancielle du taux moyen de profit (2).

Les employeurs ont mis leur projet à exécution d’abord dans l’industrie minière (plus de 240 000 premiers permis de travail accordés à des immigrés), ensuite dans de nombreux autres secteurs (construction, alimentation, textiles, aciéries, hôtellerie, métallurgie, etc...). Ils ont finalement ouvert toutes les activités non qualifiées, dans presque tous les secteurs (nettoyage, personnel de cuisine, manœuvre, temporaires...) aux immigrés.

Certains secteurs professionnels offrent cependant encore des conditions de travail satisfaisantes. Il s’agit des secteurs du gaz, de l’électricité, du pétrole, des services publics... La raison doit en être cherchée dans la capacité d’organisation de ceux qui y travaillent, les employeurs n’ayant pas encore réussi à y organiser la concurrence entre les différentes catégories de travailleurs. De plus, on n’y trouve que peu ou pas de femmes, d’immigrés et de jeunes.

La bonne organisation des travailleurs fait obstacle aux « tentatives de désorganisation » du patronat. En d’autres termes, la position de ces travailleurs sur le marché de l’emploi est assez forte que pour éliminer la concurrence organisée de l’extérieur.

2) Stratégies possibles de la classe ouvrière face à l’immigration

Certaines catégories de travailleurs sont utilisées pour augmenter la concurrence au sein de la classe ouvrière parce qu’ils ne sont pas encore suffisamment insérés dans le processus de production. Il s’agit des jeunes, des femmes, des travailleurs immigrés. Mais ce n’est pas parce que l’employeur tente de les manipuler dans ce but qu’ils accepteront nécessairement de jouer son jeu. Les tentatives faites par le patronat pour affaiblir la revendication des travailleurs belges en se servant des femmes et des immigrés ne seront pas forcément couronnées de succès. Tout dépend de la manière dont s’y opposeront les travailleurs.

Ceci nous amène à considérer les stratégies qu’on pourrait opposer à la stratégie patronale de concurrence sur le marché de l’ emploi.

Nous n’en voyons que deux :
 l’opposition radicale à l’embauche de toute nouvelle catégorie de travailleurs (catégories qui n’ont pas les mêmes caractéristiques et les mêmes traditions que ceux qui sont déjà mis au travail).
 ou bien la mobilisation et l’organisation des nouveaux venus afin qu’ils deviennent aussi « valables » et aussi combatifs que les autres et qu’ils manifestent les mêmes revendications.

Les deux stratégies ont des avantages et des inconvénients.

La première est assez « corporative » dans le sens qu’elle privilégie les intérêts des groupes qui sont déjà au travail. Elle exige au départ une action syndicale approfondie et bien organisée (système closed shop), qui protège soigneusement les acquis syndicaux. Elle est fréquemment utilisée dans des secteurs déterminés, tels que l’industrie pétrolière, le gaz et l’électricité, les services publics (chemins de fer, postes, télégraphes et téléphones...). Encore une fois, nous insistons sur le fait que ce n’est pas par hasard que ces secteurs n’occupent que très peu de femmes et d’immigrés.

La seconde stratégie doit être utilisée là où les organisations syndicales n’ont pas réussi à étouffer dans l’œuf la concurrence organisée par le patronat. Une première défaite doit donc être compensée par l’organisation continue, la formation et la mobilisation des travailleurs pour en arriver à la constitution d’un front commun.

Cela est plus difficile pour certaines catégories de travailleurs que pour d’autres, d’autant plus quand la langue n’est pas commune, quand la tradition syndicale et le passé sont différents, quand on est politiquement divisé ou « minorisé ».

De plus, il y a rarement une seule défaite et une seule immigration. Des travailleurs belges se sont vus opposer la concurrence de plusieurs vagues de travailleurs : les Italiens d’abord, puis les Espagnols et les Grecs, enfin les Marocains, les Yougoslaves et les Turcs. Ce n’est pas une sinécure que de constituer un front commun avec ces différents groupes de travailleurs. A long terme cependant, cela pourrait faire progresser la collaboration internationale des différents groupes nationaux.

Les deux stratégies, opposition radicale et organisation-mobilisation, ont, comme nous l’avons dit, leurs avantages et leurs inconvénients. Mais la présence des deux stratégies au sein d’une même organisation syndicale amène des difficultés supplémentaires. Il est difficile de défendre et d’appliquer l’une et l’autre en même temps. Elles ont, en effet, des points de départ différents.

Pour la première, l’opposition radicale, on part du fait que le front des travailleurs constitué et uni pourra être entamé par l’embauche de forces de travail nouvelles, étrangères à l’entreprise et au secteur.
Pour la seconde, mobilisation-syndicalisation, on prévoit, à terme, la formation d’un front ; l’unification et la solidarité des travailleurs doivent être élaborées et les différences de sexe, d’
âge et de nationalité doivent être surmontées.

Si l’employeur a réussi à embaucher des étrangers, il faudra, selon la première stratégie, nier l’existence de différences selon les nationalités, tandis que la seconde tiendra compte de ces différences pour élaborer des actions spécifiques pour les travailleurs étrangers.
Les deux stratégies peuvent donc se rencontrer à l’intérieur d’une même organisation. Et chaque organisation peut donner la préférence à la première ou à la seconde des stratégies.

3. Les syndicats belges, l’immigration et les travailleurs immigrés

Pour donner une idée exacte de dix années de lutte des travailleurs immigrés, il est nécessaire de décrire brièvement les réactions et les stratégies des deux principaux syndicats belges la CSC et la FGTB, à l’égard de l’immigration et des travailleurs immigrés.

Il ne suffit pas qu’une certaine catégorie de personnes présente quelques caractéristiques socio-économiques objectives pour qu’elles s’intègrent automatiquement dans une classe sociale précise et y soient prises en considération.

L’appartenance à une classe sociale dépend aussi d’autres facteurs, tels que la conscience de classe, le sentiment d’appartenance, par exemp1e, à la classe ouvrière de Belgique. Il faut aussi que les travailleurs belges considèrent les immigrés comme des camarades de classe et non pas comme des intrus.

a. Syndicats et immigration : pas d’objection de principe

Nous avons vu que l’émigration était amorcée dès avant que les travailleurs organisés et leurs syndicats ne se soient rendu compte de ses conséquences.

Les syndicats n’ont exigé l’arrêt de l’immigration que lors des périodes de chômage élevé. Sitôt la crise dépassée, ils ont toléré à nouveau la manipulation du marché de l’emploi par le patronat. (3)

La crise des années 30 était à peine achevée qu’on accueillait à nouveau des étrangers dans les charbonnages. Les responsables syndicaux étaient cependant au courant du problème ; ils savaient combien l’immigration était liée aux mauvaises conditions de travail.

Dans le rapport du congrès de la Centrale des Francs-Mineurs de 1939, il est dit que « les directeurs des mines feraient bien de revoir leur politique des salaires et le traitement des jeunes travailleurs s’ils veulent éviter de devoir, dans l’avenir, se résoudre à chercher des travailleurs à l’étranger. » (4)

Le principe du recours à l’immigration n’a jamais été remis en cause. Il est admis pour autant qu’il soit organisé et contrôlé, pour autant que les immigrés ne constituent pas un groupe concurrent aux travailleurs belges. (5) Les deux syndicats, FGTB aussi bien que CSC, ont gardé cette position de 1936 à ce jour.

En 1974, à l’occasion de la régularisation des travailleurs clandestins, on a pu lire dans le périodique "ACV Vakbeweging" : « L’ACV (soit la CSC) estime que l’immigration doit être limitée dans la mesure du possible et même supprimée dans certains secteurs. Dans les secteurs dont les structures ne permettent pas l’arrêt immédiat de l’immigration, il parait souhaitable d’appliquer une série de mesures de contrainte qui les ferait renoncer à l’appel de travailleurs étrangers pour résoudre leurs problèmes de main-d’oeuvre (...). Une immigration, même réduite (...) ne pourra être admise dans l’avenir qu’à condition que soient satisfaites des exigences syndicales précises concernant la politique de l’emploi. » (6)
Bien que le même point de vue ait été clairement exprimé au Conseil Consultatif de l’Immigration, les principes de la politique d’immigration sont demeurés inchangés depuis 1967. Le 26 février 1975, une commission « Politique d’immigration » a cependant été créée au sein du Conseil. Au terme de l’année 1977, elle n’a pas encore présenté de conclusions.

Entre-temps, l’immigration se poursuit. Les syndicats semblent n’avoir jamais bien réalisé ce que pourraient en être les conséquences lointaines. B. Duccoli et S. Panceira attribuent ce fait à une double lacune de l’analyse faite par les syndicats :

 « D’une part, ils ont considéré l’immigration comme un fait passager qui aurait à répondre aux besoins conjoncturels de main-d’ oeuvre. (Les syndicats semblent satisfaits par « l’enquête préalable sur le marché de l’emploi » à la suite de laquelle un premier permis B n’est accordé que pour autant que le bureau régional de l’Office de l’Emploi ait déclaré qu’il n’y avait pas de main d’oeuvre disponible).

 D’autre part, en considérant cette "insuffisance de main d’ oeuvre disponible" comme un argument absolu, sans se préoccuper des conditions de travail matérielles et sociales qui sont à la base de cette insuffisance, ils ont implicitement admis une stratification à l’intérieur de la classe ouvrière, stratification qui va dans le sens d’une dévalorisation du travail manuel par rapport aux exigences exprimées par les travailleurs autochtones. (7)

Il faut s’arrêter à cette double lacune de l’analyse syndicale. D’après nous, l’absence d’une opposition organisée au recrutement de travailleurs à l’étranger a d’autres causes encore :

 L’appui inconditionnel à la « reconstruction nationale » en 1945-1947, et l’absence de revendications d’améliorations fondamentales aux conditions de salaire et de travail dans les mines. Les syndicats se sont contentés, ou ont dû se contenter, d’améliorations uniquement financières qui ont été reprises dans le « statut du mineur ». (8)
On s’est rapidement rendu compte que ces concessions ne suffiraient pas à faire accepter aux chômeurs belges le travail de la mine.

Freinant donc les exigences des mineurs (et de leurs centrales professionnelles), et refusant de mettre en péril la reconstruction nationale, on a implicitement permis au patronat d’organiser le libre recrutement à l’étranger.

 Les syndicats ont omis de faire, au niveau professionnel, une étude et une discussion approfondies du problème immigration-stratégie patronale. La base syndicale n’a jamais été consultée à ce propos. Il est bien question de consultations restreintes :

·Dans les entreprises, le conseil d’entreprise doit être consulté quand l’employeur projette de recruter par contingents (soit 15 personnes au moins) à l’étranger. Mais son avis n’est pas contraignant. De plus, quel peut être le sens de cette consultation si l’employeur présente la demande de contingent comme une question de vie ou de mort pour l’entreprise ?

·Sur le plan national, ce n’est qu’en 1948, alors que 40 000 prisonniers avaient déjà été engagés dans le travail des mines et que plus de 50 000 permis de travail avaient été délivrés à des travailleurs italiens, que les organisations de travailleurs belges ont obtenu un certain droit de parole dans la Commission tripartite pour la main-d’oeuvre étrangère, instituée à cette époque. Bien que convertie en 1967 en Conseil Consultatif de l’Immigration, cette commission, constituée paritairement d’organisations de travailleurs et d’employeurs d’une part, de représentants des différents Ministères d’autre part, reste un organe consultatif pour le Ministre de l’
Emploi et du Travail.Son activité dépend en grande mesure de l’intérêt que lui accorde le Ministre en place. Et si l’intérêt fait défaut, il peut se passer des mois et des années avant que le Conseil ne soit réuni. (9)

A l’exception des Ministres Servais et Ca1ifice, tous deux PSC, et G1inne, PSB, on peut dire que les Ministres de l’Emploi et du Travail, dans leur ensemble, n’ont guère manifesté d’intérêt à cette question. La participation des travailleurs et de leurs organisations est donc demeurée très limitée.

L’absence d’une opposition de principe des syndicats contre le fait de l’immigration s’explique donc par les facteurs suivants :

 ils ne l’ont considérée qu’à court terme,
 ils ont accepté le « manque de main-d’oeuvre disponible » comme une exigence absolue,
 ils n’ont pas soutenu les revendications syndicales des mineurs,
 ils ont omis d’organiser un débat approfondi sur le fait de l’immigration.

Les centrales professionnelles ne sont pas nécessairement d’accord avec cette attitude, qui est celle des syndicats. Certaines d’entre elles ont réussi, jusqu’à ce jour, à éviter l’embauche de travailleurs étrangers dans leurs secteurs. C’est le cas pour les services publics, les distributions d’eau, de gaz et d’électricité, les raffineries de pétrole, etc... (Dans ces secteurs cependant, il est souvent fait appel à des firmes de sous-traitance et à des intermédiaires qui utilisent des travailleurs temporaires et des travailleurs immigrés, ce qui diminue l’efficacité de cette position).

La conclusion générale est donc que les syndicats nationaux ont renoncé à la stratégie d’opposition radicale à l’immigration. Mais comment ont-ils réagi à l’arrivée en Belgique des travailleurs immigrés ?

b. Syndicats et travailleurs immigrés : tentatives d’organisation et de mobilisation.

L’immigration une fois admise « vollens nollens », il était indispensable de mettre les nouveaux venus au courant des coutumes de notre pays. Il ne fallait pas que, inexpérimentés, ils soient les proies trop faciles d’employeurs abusifs. Afin d’éviter la concurrence entre travailleurs étrangers et nationaux, il fallait que les premiers soient mis au travail dans les mêmes conditions que les Belges. Il était donc nécessaire d’arracher continuellement l’égalité de traitement entre les uns et les autres, ce qui était plus facile à obtenir si les immigrés s’affiliaient massivement aux organisations syndicales et y travaillaient comme militantes.

Dès la seconde guerre mondiale, cela a été l’objectif des syndicats. Dans quelle mesure ont-ils réussi ? Nous allons essayer de le voir en étudiant une série d’éléments tels que l’obtention des droits syndicaux, le degré de syndicalisation et les services syndicaux pour immigrés.

§Le syndicat est responsable aussi de cette catégorie de travailleurs.

A la CSC, la responsabilité syndicale à l’égard des immigrés a été clairement formulée en 1952 par R.Petre, secrétaire-général de la Centrale des Francs-Mineurs :

« En présence de cette situation et étant donné ses répercussions économiques, sociales et morales sur le pays en général et sur les travailleurs belges en particulier, la CSC se devait de s’intéresser particulièrement au sort de ces travailleurs étrangers, de telle manière que, d’une part, leur présence ne nuise en aucune façon à la main-d’ oeuvre belge et que, d’autre part, ils jouissent de conditions de travail, de logement et de séjour convenable. En effet, il s’agissait non seulement d’éviter de provoquer la concurrence sur le marché du travail, il fallait aussi prévoir l’avenir, notamment par l’organisation au sein de nos syndicats chrétiens d’un plus grand nombre possible de ces travailleurs étrangers, venus chercher un asile et un gagne-pain en Belgique. Seule une organisation stable, ayant des cadres solides et permanents, était capable de mener à bien cette tâche.

« Pour la CSC, la question était d’autant plus importante que parmi tous ces étrangers, une grande majorité est catholique. C’est pourquoi la Confédération des Syndicats Chrétiens considère comme un devoir impérieux de veiller à procurer aux travailleurs étrangers, auxquels notre industrie fait appel, des conditions de travail, de vie, de logement, compatibles avec leur dignité d’homme, quelles que soient leur origine et leur nationalité.
« C’est pour les mêmes motifs que la CSC a décidé d’intensifier le recrutement syndical auprès des travailleurs étrangers et qu’elle a ratifié les accords intervenus à ce sujet avec leurs représentants. » (10)

La CSC ne s’est pratiquement jamais écartée de cette orientation.
Les prises de position de la FGTB à l’égard de l’immigration sont moins explicites.
Natha1is De Bock, secrétaire-général adjoint à la FGTB, écrit dans la préface du Guide pratique du Travailleur Immigré, en Belgique :

« Notre pays a connu, en effet, au cours de la dernière décennie, une immigration importante qui correspondait d’ailleurs aux besoins des divers secteurs économiques. La présence d’une main-d’œuvre étrangère importante ne pouvait pas laisser indifférente la FGTB. Celle-ci a, depuis longtemps, créé et développé un service de main-d’œuvre étrangère destiné à approcher et à sensibiliser cette nouvelle catégorie de travailleurs. » (11)

Dans la pratique, cette organisation syndicale estime qu’il ne peut y avoir de différence fondamentale entre travailleurs belges et immigrés. Les étrangers doivent être traités, à tous égards, de la même manière que les travailleurs belges. Toutes les formes de discrimination, qu’ elles soient positives ou négatives, doivent être combattues.

La négation des problèmes spécifiques aux travailleurs immigrés et de la discrimination dont ils sont victimes a pour conséquence que la FGTB n’a prévu aucune structure spécifique à leur usage. Et le service dont il est question dans la référence ci-dessus est d’une portée extrêmement limitée.

§Organisation de services pour les travailleurs immigrés.

Dès 1949, c’est à la CSC que les services et les prévoyances sociales pour travailleurs étrangers ont été le plus largement développés.

En 1946, la CSC prend contact avec les ACLI (Aesociazione Cristiana di Lavoratori Italiani). Des secrétariats régionaux, gérés par des Italiens sont créés dans les cinq bassins houillers. Des accords similaires sont passés avec d’autres associations étrangères, notamment polonaise, balte et ukrainienne.

En 1947 est institué enfin au niveau confédéral un service des travailleurs immigrés qui se développe au cours des années. Le schéma ci-dessous montre comment la participation des travailleurs étrangers est momentanément organisée.

Schéma
Structure d’organisation des travailleurs immigrés dans la CSC.

CSC

Commission nationale des Immigrés (5)

Rencontre des immigrés (4)
200 à 250

Comité de coordination nationale (3)

Comité national par nationalité (2)

Régions (1)

Liège, Charleroi, Limbourg

Fédération – Fédération - Fédération
Source : B.DUCCOLI et S.PANCEIRZ Syndicats nationaux... p.620

Dans les différentes régions, les étrangers se regroupent par nationalité. Chaque communauté nationale a son propre représentant au Comité national. Leur ensemble participe à la Commission nationale des Immigrés. De plus, les militants étrangers se rencontrent annuellement à la Rencontre des Immigrés.

A l’aide de cette structure d’organisation, la CSC offre un grand nombre de services : cycles de formation, WE d’étude pour militants étrangers, sessions pour travailleurs étrangers, une série importante de périodiques dans les différentes langues nationales, etc...

Tableau 12
Périodiques édités par la CSC à l’usage des sYndicalistes immigrés.

NationalitéTitreAnnées paruesPériodicité
PologneProca—
ItalieSole d’Italia31Hebdomadaire
EspagneEl Ibero17Bimensuel
PortugalEl Thabalhor-mensuel
GrèceProtoporos18mensuel
YougoslavieSindikalmi Galsnik-mensuel
TurquieAmek13mensuel
MaghrebAl Amil Arabi-mensuel

Source : C. FRANSOO, L’intégration, p. 18 (12)

On ne rencontre pas à la FGTB des services d’une égale importance et auxquels collaborent de nombreux délégués syndicaux étrangers. Elle ne comporte qu’un seul organe en rapport avec ce type de problèmes, la Commission consultative nationale pour l’Immigration. Sa compétence est limitée à l’information et l’étude. Des sessions pour l’aide sociale et juridique sont prises en charge par certains délégués syndicaux.

La presse syndicale pour travailleurs étrangers existe, mais elle est peu abondante. Le tableau 13 mentionne ses publications au cours des années 1965-1967.

Tableau 13
Périodiques de la FGTB à l’usage des syndicalistes immigrés.

NationalitéTitrePériodicité
EspagneDemocracia4 fois l’an
GrèceErgatiki FoniId.
ItalieLottaId.
TurquieIsciId.
PologneGlos PraciId.

Source : Lire l’Immigration, cahier n° 4, P. 9

Il ne fait pas de doute que la mise sur pied de ces services a fortement contribué à la formation syndicale, à la mobilisation et à la participation des travailleurs immigrés. Mais au sein des deux organisations syndicales, le développement de ces services a été fort différent.

La CSC a reconnu la spécificité des immigrés dès la seconde guerre mondiale et en a tenu compte dans la démarche syndicale, considérant qu’il s’agissait d’une condition indispensable à la constitution d’ un front de travailleurs belges et étrangers.
La FGTB, par contre, au nom des mêmes notions de solidarité, a refusé de faire des distinctions entre les uns et les autres, et l’ étrangéité n’a été reconnue qu’en passant.

Il va donc de soi que les deux syndicats ont parfois adopté des positions différentes sinon opposées à l’égard du problème des travailleurs immigrés. Nous en donnons ici deux exemples significatifs :

 En 1956, quelques mois avant la catastrophe de Marcinelle, au cours de laquelle 200 mineurs italiens trouvèrent la mort, les Italiens avaient reçu l’appui à peu près inconditionnel de la CSC à leurs exigences de meilleures conditions de travail et d’une révision de la convention italo-belge régissant le recrutement d’Italiens pour les mines. La CSC avait informé et aidé les délégués du gouvernement italien, de sorte qu’ils avaient repris à leur compte les revendications des mineurs italiens concernant essentiellement les salaires et la sécurité dans les mines.

Le patronat et la FGTB ont estimé qu’il s’agissait d’une affaire interne à la Belgique et refusé l’intervention des fonctionnaires italiens. Les pourparlers ont échoué. Le patronat a recruté alors des mineurs espagnols et grecs afin de briser la revendication des Italiens.

 Dans la Commission tripartite de la Main-d’Oeuvre étrangère et, plus tard, dans la Commission consultative de l’Immigration, l’intérêt et l’activité des deux organisations syndicales sont assez différents. Dans l’excellente analyse qui en est faite par A.VERBRUGGHE, nous trouvons les observations suivantes :

Tableau l4
Participation différente de la CSC et de la FGTB à tripartite pour la main-d’œuvre étrangère. (1948-1965)

Nature de l’interventionFGTBCSC
Mise à l’ordre du jour d’une question11 interventions61 interventions
Dépôt d’une plainte110

Composition de la délégation syndicalevariableconstante

Source : A.VERBRUGGHE, Commission Tripartite p. 111

Au seuil de cet organe de négociation, la disposition à la participation est nettement plus grande à la CSC qu’à la FGTB. A. Verbrugghe écrit :
« C’est donc essentiellement sinon uniquement sous la pression de la CSC qu’ont vu le jour une série de réalisations ayant pour but de garantir les intérêts des travailleurs étrangers et de les mettre sur le même pied que ceux des travailleurs belges, afin de les intégrer dans les organisations syndicales (...). Les réalisations ne se font cependant que très progressivement. » (13)

La conception et la manière de traiter le « problème des étrangers » sont donc différentes dans les deux organisations syndicales. Nous pouvons cependant observer qu’aussi bien à la CSC qu’à la FGTB, il est plus facile de créer des services que d’octroyer des droits, en l’occurrence des droits syndicaux.
§Les travailleurs immigrés obtiennent plus rapidement l’organisation des services que les droits syndicaux.

Bien que les deux syndicats aient été opposés à toute forme de discrimination, il a fallu plus de 20 années pour que les étrangers obtiennent l’égalité des droits au niveau syndical.

Les droits syndicaux comprennent le droit de vote et d’éligibilité aux élections des conseils d’entreprise, des comités de sécurité et d’hygiène et des délégations syndicales.
Le droit de vote leur est accordé assez rapidement (1949) ; ce1ui d’être élu comme représentant des travailleurs ne leur est donné, et sous condition, qu’en 1963. Ce n’est qu’en 1971 que l’égalité totale est acquise. Voici un schéma des étapes successives :

 loi du 20/9/1948 : seuls des Belges peuvent être candidats aux élections syndicales (160 000 travailleurs immigrés sont exclus)
 arrêté royal du 23/11/1949 : pour pouvoir exprimer leur voix aux élections, les immigrés doivent être détenteurs d’un permis de travail depuis deux ans au moins.
 loi du 28/1/1963 : afin de pouvoir voter, il faut être en règle avec la législation sur l’emploi de la main-d’œuvre étrangère. Pour être éligible, les Belges doivent avoir travaillé dans le même secteur depuis 3 ans, les étrangers depuis 5 ans.
 loi du 5/1/1967 : pour être éligible, les Belges ou les immigrés originaires des pays de la CEE doivent être au travail dans le même secteur depuis 3 ans. Les immigrés originaires de pays tiers doivent y être, eux, depuis 5 ans. En 1967, 47% des immigrés viennent des pays tiers.
 loi du 17/2/1971 : la législation actuelle est d’application : l’égalité des droits est acquise.
 arrêté royal du 24/1/1975 : la nationalité des travailleurs ne doit pas être mentionnée sur les listes électorales. (14)

On peut se demander à juste titre pourquoi il a fallu 20 ans pour obtenir l’égalité des droits. Comment les syndicats ont-ils pu tolérer la discrimination entre travailleurs belges et étrangers, alors qu’il ne s’agissait que de droits syndicaux et d’élections syndicales ?

Les raisons doivent en être cherchées, une fois de plus, dans les tensions existant entre appartenance de classe et nationalité des travailleurs.
Après la seconde guerre mondiale, les partenaires sociaux ont confié l’organisation de la démocratie économique au pouvoir législatif, le Parlement.

Afin de l’organiser (il s’agit donc de la participation et du droit d’intervention au niveau de l’entreprise, du secteur), les parlementaires ont cherché leur inspiration dans l’organisation de la démocratie politique et là, les étrangers n’ont aucun droit.

Il est donc « normal » que ces droits leur aient été refusé dans la démocratie économique. Qui ne possède pas de droits politiques ne peut jouir de droits économiques…
Sous la pression des immigrés eux-mêmes, les syndicats ont, à leur tour, mis en mouvement les hommes politiques les plus progressistes. En 1948, par exemple, plusieurs parlementaires communistes étaient convaincus que la nationalité ne devait pas intervenir dans le fait de l’éligibilité. L’appartenance de classe devait avoir la priorité. Leurs amendements furent repoussés. (15)

Ceux qui n’ont pas de droits politiques, qu’ils les aient perdus ( comme les inciviques ) ou qu’ils ne les aient jamais obtenus ( comme les immigrés) ne peuvent être « participants » à la démocratie économique. Immigrés et inciviques sont mis dans le même panier. Ce qui veut dire que ces deux catégories ont, soit, troublé l’ordre public et la sécurité nationale, soit sont susceptibles de le faire.

L’individu qui ne dispose pas de droits politiques est donc également privé de droits dans le domaine économique. Le fait que les inciviques aient perdus leurs droits politiques alors que les étrangers ne les ont jamais obtenus, à moins d’avoir la grande naturalisation, ne trouble en rien le législateur.

En rapport avec l’acquisition progressive de l’égalité des droits, il faut encore observer les faits suivants :
 Pour défendre leurs droits, les travailleurs et leurs organisations ont adopté (ou ont été forcés d’adopter ?) les subtiles nuances de l’Etat. Nuances entre Belges et étrangers, puis entre Belges, étrangers de la CEE et autres, et encore actuellement entre Belges, étrangers et étrangers dont les documents ne sont pas en règle (du point de vue du séjour et du travail).

 Les droits élargis ne sont concédés que lorsque les catégories concernées ne viennent pratiquement plus en Belgique. En effet, les immigrés de la CEE n’ont obtenu l’égalité des droits qu’en 1967 au moment où leur immigration était pratiquement terminée, les autres en 1971 ; alors que l’immigration régulière était fortement limitée depuis 1967.

 Les règlements et les limitations concernant la nationalité ne sont imposés qu’aux délégués des travailleurs. La loi n’a jamais imposé de semblables conditions aux membres étrangers des délégations patronales. Depuis 1948, certaines catégories d’étrangers se trouvent donc déjà sur pied d’égalité avec les Belges : il suffit qu’ils fassent partie de la délégation patronale. Seuls les capitalistes seraient-ils des internationaux ? De toute manière, ils ne se préoccupent guère du principe de nationalité.

b. Attitude des travailleurs immigrés à l’égard du syndicat.

Nous ne pouvons clore le chapitre sur l’immigration et l’organisation de la classe ouvrière sans nous demander comment les immigrés se situent par rapport aux syndicats.

Dans quelle mesure ont-ils le sentiment d’appartenir à la classe organisée des travailleurs belges ? Font-ils appel aux services qui ont été conçus pour eux ? Ont-ils le droit de parole dans les organisations syndicales ?

Voilà une série de questions auxquelles nous tenterons de répondre. Les données qui nous permettent de le faire sont peu nombreuses et incomplètes. Nous les utiliserons donc avec prudence.

L’attitude des travailleurs immigrés à l’égard du syndicat peut être étudiée sur base des données suivantes : degré de syndicalisation, utilisation des services syndicaux, militantisme et présence au sein des structures syndicales.

§Un degré de syndicalisation équivalent

Dans les cercles syndicaux, on prétend qu’il y a réticence, parmi les immigrés, à s’affilier au syndicat. Ce qui serait imputable aux facteurs suivants :

 au début du séjour en Belgique, ils évitent les « frais superflus » comme la cotisation syndicale.
 ils font référence aux mouvements ouvriers du pays d’origine où les syndicats libres sont inexistants, sinon interdits (Espagne, Grèce, Italie pendant le fascisme). Affiliation à un syndicat signifie alors affiliation au syndicat d’état officiel.
 les traditions syndicales sont inexistantes dans les populations agricoles et particulièrement en Turquie, au Maroc et en Espagne. (16)

J.Renders mentionne aussi l’attitude méfiante de la population ouvrière belge qui considère les travailleurs immigrés comme des concurrents et une menace potentielle. (17)

Il est exact que le taux de syndicalisation se trouvait assez bas immédiatement après la seconde guerre mondiale. En 1956, par exemple, la CSC qui. est alors le syndicat le plus « accueillant », ne compte que 14 000 Italiens affiliés alors que, 4 ans auparavant, il y en avait déjà 65 000 au travail en Belgique.

Au cours des dernières années, le nombre d’adhérents a fortement augmenté. Un taux de syndicalisation de 50% a été avancé. Il faut cependant manier ces chiffres avec prudence et tenir compte, par exemple, du fait que très peu d’immigrés sont mis au travail dans les secteurs les plus syndicalisés (pétrole, gaz, électricité et services publics) et qu’on n’y rencontre donc guère de syndicalisés potentiels.

Ceci apparaît clairement dans l’étude consacrée par A.Fransoo à l’intégration des travailleurs étrangers dans la fédération de régionale de Bruxelles de la CSC.
Le tableau 15 donne la dispersion par secteurs :

Tableau 15
Participation des travailleurs étrangers dans les centrales bruxelloises de la CSC et dans le secteur d’activité de Bruxe1les-Halle-Vi1vorde (1969-1971)

Centrales CSC *Total des membres% des étrangers parmi les membresSecteur d’activité**%d’étrangers parmi les travailleurs (euses) (31/12/72)
Chimie334218,1Chimie et caoutchouc16,9
Gaz – électricité8761,9Gaz, électricité, eau, papier, livre, bois, liège0,9
Industrie graphique16756,1Bâtiment8,1
Bois et bâtiment1143319,8Métal et fonderies20,5
Métal1120317,6textile15,4
Textile396410,424
Tram14804,6
Sabena19511,1
Chemins de fer6016-
Transport et dockers68012,3Transport12,3
Alimentation382714,3Alimentation, tabac12,6
Tabac2121,4
Horeca (hôtellerie)90825,4Horeca (hotellerie)33,8
Services (privés)60211Services domestiques48 ,4
Grands magasins142313,7Commerce de gros et de détail14,5
Centrale des employées (Fl.)48250,7
CNE78151,2
Service Publics13809-
Enseignement7090-

* CL. FRANSOO p. 34 - 36
** J .HAEX, A. MARTENS et S.WOLF "Arbeidsmarkt .... p.85

Nous ne connaissons pas le degré de syndicalisation des travailleurs dans chaque secteur de l’industrie, ni la distribution des affiliés dans les trois syndicats (FGTB, CSC, CGSLB). Mais l’observation du tableau nous permet de constater que le pourcentage des affiliés étrangers à la CSC croît approximativement au même titre que le pourcentage d’étrangers par activité sectorielle. Là où travaillent de nombreux étrangers on rencontre également un nombre important, absolu et relatif d’affiliés étrangers : par exemple dans l’industrie du bâtiment, du métal, du textile et de la chimie.

Deux secteurs font exception : horeca (hôtellerie) et gens de maison. Il s’y trouve beaucoup d’étrangers mais très peu d’entre eux sont syndiqués. Mais c’est également le cas pour la plupart des Belges travaillant dans ces secteurs.

J.Renders fait la même constatation pour les mines de la Campine : "parmi les travailleurs immigrés, le degré de syndicalisation (y) serait aussi élevé que celui des travailleurs belges." (18)

Les données dont nous disposons, bien que limitées, ne laissent aucun doute : les immigrés se syndicalisent. Ils manifestent par là leur solidarité avec la classe ouvrière autochtone.

§Les affiliés étrangers « apportent » quatre fois plus de problèmes aux syndicats

Quand un travailleur entre dans un syndicat, il trouve à sa dispositon un certain nombre de services. Les étrangers jouissent des mêmes avantages que les Belges, mais la faiblesse de leur situation socio-économique et culturelle au sein de la société belge est responsable d’une série de problèmes qu’ils n’arrivent guère à résoudre.

Le syndicat est alors une des rares institutions qui peuvent leur apporter conseil et assistance. Il est difficile d’établir avec précision la mesure dans laquelle ils ont recours au syndicat.

Dans l’enquête menée par C.Fransoo, on trouve cependant des renseignements concernant les plaintes et les interventions du secrétariat régional de la CSC de Saint-Gilles - Bruxelles (qui comporte 2657 membres inscrits : 1391 Belges et 1266 étrangers) .

Tableau 16
Vue d’ensemble des interventions enregistrées au secrétariat régional de Saint Gilles, période du 1/1/1969 au 31/2/1969

Nature de l’interventionBelgesEtrangersTotal
Demande de prolongation de l’assurance par la mutuelle31518
Impôts : établissement de la déclaration
26112138
Plainte auprès du Ministère des Finances concernant les impôts167
Absence de délivrance du bon de cotisation pour la mutuelle3912
Plainte aux allocations familiales21115136
Absence de délivrance de timbre de fidélité (bâtiment)21315
Plainte concernant un préavis135366
Allocation de chômage complémentaire (bâtiment)107686
Congé payé (complément)135871
Prime syndicale (déclaration)
81523
Plainte à la mutuelle2911
Plainte concernant le salaire hebdomadaire, les jours de congé156
Allocation pour maladie de longue durée (fonds du bâtiment)71118
Total154572726
Nombre de membres CSC St Gilles:139112662657

Source : C. FRANS 00 , p. 38-39

La différence entre les deux catégories est assez évidente : 80 % des interventions sont faites au bénéfice de 48 % des membres.

Celles concernant les pensions exceptées, le nombre des interventions que le syndicat est amené à faire pour les immigrés est toujours plus important que pour les Belges. Les membres étrangers amènent donc ipso facto une charge supplémentaire pour le syndicat ; et quand un permanent régional, responsable des services dont il est fait question, constate que 100 travailleurs immigrés amènent autant de problèmes que 400 Belges, il sera tenté d’attirer ceux qui surchargent le moins ses services.

Les problèmes qui affectent les immigrés demandent fréquemment des interventions individuelles et un travail qui limite les possibilités de l’investissement dans les démarches collectives, le travail de formation, etc... Les immigrés ne sont donc pas une clientèle "intéressante" pour les services syndicaux.

§Les immigrés sont quasiment absents des structures syndicales

Cette absence est particulièrement frappante dans les activités syndicales et dans le travail militant.

Dans les charbonnages de la Campine, par exemple, la CSC avait en 1970, 187 militants pour les 5 mines (sur les 15 308 travailleurs du fond belges et immigrés, soit 1,2%) ; 120 d’entre eux étaient Belges (soit 1,45% du nombre des travailleurs du fond belges) et 67 immigrés (soit 0,99% du total des travailleurs du fond immigrés).

Au 1er janvier 1968, il y avait dans la fédération régionale bruxelloise de la CSC 8% d’affiliés étrangers, mais 0,99% de militants étrangers seulement (sur 10 953 militants inscrits). Dans les 22 divisions locales, on compte 8 étrangers sur les 149 membres du comité.

Dans la commission "femmes", il y a une immigrée sur 10 militantes ;
dans la commission" jeunes", aucun étranger.
Parmi les 67 membres de la direction syndicale, il n’y a pas davantage d’immigrés.

Dans les directions régionales des centrales professionnelles ne siège aucun délégué étranger. En 1967 ; il n’y avait que 3 étrangers dans les délégations syndicales de la CSC (fédération de Bruxelles).(19)
Aux élections syndicales (pour la délégation syndicale, les conseils d’entreprise et les comités de sécurité et d’hygiène), les travailleurs étrangers n’ont guère de chance d’être élus. Ce n’est pas toujours dû aux responsables syndicaux qui les écarteraient, mais aussi à une série de "circonstances", telles que le fait que les travailleurs étrangers sont moins "militants", qu’ils se présentent en moins grand nombre comme candidats, qu’ils se trouvent en queue de liste dans les "polls" et obtiennent moins de voix que les candidats belges.
(…)

Les étrangers ne font donc guère « irruption » au sein des structures de décision syndicales. Parmi les militants, les responsables et les élus, il y a peu d’étrangers.

Les relations qui peuvent exister entre syndicats nationaux et travailleurs immigrés doivent donc être examinés avec quelques nuances. Il n’existe cependant aucune « aversion » réciproque au niveau de l’affiliation et de l’appartenance. Les étrangers s’inscrivent aux syndicats nationaux et y sont accueillis. On leur fournit des services auxquels ils ont recours.

Mais au niveau de l’action syndicale, de la responsabilité et de la décision, ils sont absents.

Cela apparaît dans l’étude des données limitées dont nous disposons concernant les régionales CSC de Bruxelles et des charbonnages de la Campine. Nous pensons que ces constatations peuvent être généralisées et que l’image qu’elles donnent est même en deçà de la réalité. Le matériel rassemblé provient uniquement de la CSC, et c’est justement ce syndicat qui a été le premier à accorder une attention particulière au problème des immigrés et qui a mis à leur disposition les services les plus développés. Une image globale des "syndicats et immigrés" serait certainement moins favorable aux étrangers.

Il semble donc que"l’appartenance de classe" des travailleurs étrangers ne soit pas toujours comprise de la même façon. Les organisations syndicales ne sont pas précisément opposées à l’immigration, mais elle ne veulent pas que le recours à l’immigration représente une défaite pour elles. Les migrants peuvent s’affilier, mais il est inexact de dire qu’ils sont reçus à bras ouverts.

La CSC seule met sur pied un système adapté de services.

Cette situation ambiguë cause pas mal d’insatisfactions tant parmi les travailleurs belges et immigrés que parmi les militants et les responsables.
Les militants et les délégués syndicaux étrangers de la FGTB l’ont exprimé clairement :
On a pu lire dans une note à usage interne qui leur est destinée : « Si la FGTB représente à nos yeux l’organisation ouvrière qui exprime la lutte de classe à l’intérieur de la Belgique, ceci ne nous empêche pas de reconnaître les faiblesses dans son action. »
« Il y a certainement des faiblesses - et ce sont sans doute les plus importantes - qui sont liées à sa stratégie ou à son manque de stratégie globale face au néo-capitalisme. Mais pour les militants de l’immigration, même ces erreurs apparaissent comme lointaines car notre présence dans l’organisation est loin d’être si suffisamment large qu’on pourrait le souhaiter. Nous n’avons pas l’impression d’être représentés dans les organismes du pouvoir syndical, nous ne voyons pas comment nos camarades participent dans l’avenir de l’organisation syndica1e qui aujourd’hui la représente. Notre force s’exerce par procuration. Nous faisons confiance à une série de militants. Mais des points clés de l’organisation sur lesquels nous pourrions exercer une action déterminée nous échappent. A de multiples reprises nous touchons les limites de notre action là où le pouvoir ouvrier devrait commencer (...)

« C’est dans le domaine des relations au travail que notre action avec les camarades a été le plus déficitaire. C’est là où le pouvoir ouvrier doit se manifester que nous avons le plus de difficultés à faire pression. Notre type d’activité syndicale nous empêchait d’influencer les centrales professionnelles et les entreprises bien déterminées. Peu d’influence sur la base, peu d’influence sur les lieux où s’expriment directement les conflits de travail. C’est là que la lutte des classes est la plus aigüë et donc c’est là que le progrès de l’action syndicale se teste le mieux.
« Pourtant il ne serait pas exact de conclure que nous n’avons aucun contact avec la base. Au contraire, je crois que ce contact est continu au service de chômage, dans les permanences, dans les activités culturelles. Là nous avons un accès direct aux conditions réelles de la vie des travailleurs migrants.
« Les centrales professionnelles ont mis dans nos mains ce qui touche l’ensemble de l’immigration : ses relations générales avec la société et le travail. Elles se sont réservé les relations plus spécifiques propres à chaque branche du monde du travail. La conséquence, c’est que nous avons obtenu un certain type de relations avec la base, que nous avons décrit comme étant axé sur des problèmes juridiques. Le type de relation que nous devrons affronter dans le futur, c’est celui qui nous permettrait de prendre contact avec l’organisation de la lutte à l’intérieur des secteurs professionnels et à l’intérieur des entreprises. » (20)

Les représentants de certains travailleurs expriment donc le souhait d’obtenir une participation solidaire à la lutte syndicale et, en même temps, de faire une brèche dans l’attitude équivoque des syndicats à l’égard de l’immigration.


(1) soit le chapitre concernant « La place des travailleurs étrangers dans le processus de production et l’organisation du marché secondaire du travail ».
(2) Les points de départ théoriques de cette discussion se trouvent e.a. dans M. HARNECKER & G. URIBE "Kapitalistiese Uitbuiting", Odijk 1973, p.51-53, dans MAGALINE « Lutte des classes et dévalorisation du capital », Paris 1975 p.67-69 et dans M.CASTELLS « Travailleurs immigrés et lutte de classe » in Politique d’aujourd’hui, n° 3-4, mars-avril 1975, p. 5-27.
(3) A4 MARTENS "Les immigrés : flux et reflux d’une main d’oeuvre d’appoint". E.V .O. 1976.
(4) Rapport du congrès de la Centrale des Vrije Minwerkers, 1939, p.33, cité par RENDERS J. "Gastarbeiders en Vakbondwerking in de Kempense Steenkoolmijnen, K.U.L. Leuven, Fak. Sociale Wetenschappen 1972, p. 10.
(5) W.DEHNEL « La FGTB et les travailleurs étrangers », communication au colloque organisé par l’Association belge pour le progrès social in « Progrès social » n°80, juillet 1964 Liège, p. 37 Lire aussi B. DUCCOLI et S.PANCEIRA « Nationale Vakbonden en Immigratie » in Kulturrleven, n°7, sept 1977, p. 617-628.
(6) « Regularisatie van de klandestiene arbeiders en immigratiebeleid » ACV-Vakbeweging, n°55, 15/10/1974, p. 17 et 24.
(7) DUCCOLI et PANCEIRA, op. Cité, p.6l8.
(8) Lire à ce propos A. MARTENS "Vreemde arbeiders helpen in België de kolenslag winnen" in De Nieuwe Maand, ann. 16, n°5, juin 1973 p.269-288.
(9) A. MARTENS, op. cit. p. 178-180
(10) R. PETRE « Le syndicat et le problème des travailleurs étrangers en Belgique », in l’Industrie charbonnière belge dans ses aspects sociaux, stage collectif, Bruxelles 10-20/12:52, Ministère du travail et de la Prévoyance sociale, p. 4-5
(11) FGTB Guide pratique pour le travailleur immigré en Be1gique,Brux.p.1.
(12) C. FRANSOO, L’intégration des travailleurs immigrés au sein de la Fédération Bruxelloise des Syndicats Chrétiens, Fondation Travail - Université, ISCO Mémoire, 1970-1971. Pour l’action syndicale lire aussi
J. RENDERS, op. cit. p. 48 et s.
(13) A. VERBRUGGHE, De drieledige Commissie voor de vreemde arbeidskracht, KUL, Sociale Wetenschappen, Departement Sociologie.(eindverhaling) 1973, p. 190
(14) DUCCOLI et PANCEIRA op. cit. p. 622
(15) Lire la remarquable étude de S.WOLF « Elections sociales et travailleurs immigrés »" in Elections sociales 1975, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 687, 13 JUIN 1975
(16) J.RENDERS ,op. cit. p. 56 et s.
(17)idemp. 62 et s.
(18) J.RENDBRS op. cit. p. 55
(19) C.FRANSOO, op. cit. p.44
(20) A. ENCISO, notes sur la lutte syndicale des travailleurs étrangers dans la région bruxelloise, dans R. DE SCHUTTER « Dix ans de textes à l’intérieur du syndicat », Contradictions, Bruxelles 1978, p. 48-49.