A la rencontre de Zayneb et de sa fille Hajar

Racisme et discrimination

Limitation des immigrés à Bruxelles (1980)

C’est le 21 juin dernier que le Soir publiait l’étonnante information : « Il nous revient que le Bourgmestre de Bruxelles, M. Pierre Van Halteren, aurait sollicité une audience du Ministre de la Justice (et Vice-Premier Ministre), M. Herman Vanderpoorten pour étudier les moyens pour limiter l’immigration galopante dans sa ville ». Il s’en déduit aisément que le Bourgmestre se référait à l’article 2B de la loi de 1952 qui permet au Ministre de la Justice d’interdire à un étranger de s’établir dans certaines communes s’il estime que l’accroissement de la population étrangère y devient excessif. Le MRAX et Objectif 82 ont été parmi les premiers à réagir. Nous publions ci-après leurs communiqués. Etat présent de la question : le Bourgmestre de Bruxelles a effectivement été reçu par le Ministre, le lundi 30 juin. D’après le Soir du 3 juillet, le gouvernement s’oriente vers la constitution d’une commission de travail, « la plus large possible ». Mais il ne faut pas songer à l’application de l’article 2B de la loi de 1952 qui d’ailleurs, sera bientôt revu par une nouvelle loi, déjà adoptée par la Chambre et qui annule cet article. « On voit mal le gouvernement appliquer pour la première fois, une disposition ancienne qu’il a lui-même écartée du projet en discussion devant les Chambres. »

Communiqué du MRAX :
Le MRAX a appris avec stupéfaction l’intervention de M. Van Halteren auprès de M. Vanderpoorten lui demandant de limiter la concentration des immigrés dans la ville.
Comme naguère, aux abords des élections communales de 1976, des intentions électorales inavouées poussent aujourd’hui un édile communal,-et non le moindre,-à ranimer les vieux thèmes xénophobes et à lancer une nouvelle attaque contre les immigrés. Pierre Van Halteren, Bourgmestre de Bruxelles, écrit au Ministre de la Justice pour lui demander, en vertu d’un article de la loi de 1952, de limiter le nombre des étrangers sur le territoire de sa ville. L’article 2B n’a jamais été appliqué depuis 28 ans et la loi Vanderpoorten portant sur le statut des étrangers, votée par la Chambre en 1978 et actuellement à l’examen au Sénat, ne l’a pas reprise. Oubliant l’apport économique des immigrés, s’appuyant sur des allégations absolument contestables, négligea de se demander pour quelles raisons évidentes de nombreux immigrés ont dû se concentrer dans les logements vétustes et insalubres du centre de la ville, M. Van Halteren suit la voie la plus démagogique en instituant non seulement la discrimination entre Belges et immigrés mais en tentant aussi de diviser les immigrés entre eux, entre bons et mauvais immigrés, assimilables et non assimilables. Le MRAX dénonce l’attitude xénophobe inadmissible qui est à la base de cette démarche.

Le rôle du bourgmestre n’est pas de diviser mais plutôt de promouvoir la compréhension mutuelle, le dialogue et la concertation entre toutes les composantes de la population pour permettre une approche positive des vrais et graves problèmes qui se posent à la Ville de Bruxelles.

Trois marocains jouaient (1984)

Des articles parus dans certains journaux tant néerlandophones que francophones, tentent de semer la confusion dans les esprits et de développer un sentiment d’angoisse dans la population de nos différents pays en représentant l’Islam comme une menace pour nos valeurs « occidentales » et en assimilant abusivement les immigrés originaires des pays islamiques aux « Frères musulmans ».
Conscientes du danger que peuvent susciter de telles allégations gratuites, des associations et organisations éthiques, philosophiques et religieuses, représentants des courants de pensée très différents, ont décidé de réagir dans une lettre commune que nous publions ci-joint.

Des considérations d’inspirations xénophobes parues çà et là dans la presse belge ont visé singulièrement la composante musulmane de notre société et tendent à présenter l’Islam comme une religion particulièrement totalitaire dont les « adhérents » seraient « en train de conquérir » subrepticement l’Europe ;
De telles élucubrations ne peuvent être passée sous silence ou traitées seulement par le mépris, car elles visent à désorienter l’opinion de certaines couches de population, rendues inquiètes par la persistance de la crise économique.
On ne peut certes nier les problèmes qui peuvent naître de la cohabitation de cultures différentes et qu’aggravent souvent les insuffisances réciproques de l’accueil et de l’information.
La garantie à rechercher pour l’avenir consiste à l’établissement de rapports harmonieux entre Belges et immigrés, ce qui postule la reconnaissance de l’autre comme égal à soi-même et le respect mutuel des diverses cultures en présence, y compris les convictions.
C’est dans ce sens qu’il faut aller si l’on veut préparer pour l’avenir une société exempte de graves tensions et où chacun puisse s’épanouir librement, quelle que soit son origine et celle de ses parents.

C’est pourquoi les associations ci-après, appartenant à des horizons très divers, affirment résolument que, sans une telle base, faite de justice, de respect mutuel et de tolérance active, l’on ne saurait fonder une paix civile durable dont notre pays a besoin pour son avenir.
Elles estiment donc nécessaire de mettre en garde la population contre des appréciations simplistes et fallacieuse sciemment répandues concernant la civilisation islamique et les valeurs spécifiques et enrichissantes dont elle est porteuse.
Elles soulignent enfin la nécessité urgente de sensibiliser nos concitoyens et si possible de les impliquer dans la recherche de solutions à proposer à nos responsables politiques.

Signataires :
Commission Interdiocésaine des Relations avec l’Islam (CIRI)
Centre El Kalima
Société de St-Vincent de Paul a.s.b.l
Commission Islam de l’Eglise protestante de Belgique
MRAX
Fédération des Amis de la Morale laïque
Promotions laïques interculturelles
Commission des Droits de l’Homme du Centre Communautaire Laïque Juif
Union des progressistes juifs de Belgique.

TROIS MAROCAINS JOUAIENT

Dans un café trois marocains jouaient au Poker devant trois verres de thé au jasmin.
Il était minuit passé et une femme chantait en arabe les affres du matin.
Trois Marocains jouaient au poker sans un mot ; attention à la nuit, avait dit le patron.
Les hommes d’un côté et de l’autre, les femmes, autour des têtes la lumière tissait des rayons.
Trois Marocains jouaient au poker et on remplit leurs verres une seconde fois.
Un homme entra masqué, la haine au poing et sur les joueurs tira de sang froid.
Les Trois Marocains qui jouaient au poker à minuit passé, ne boiront plus de thé au jasmin.
Et l’homme masqué dans d’autres cafés descendra d’autres Marocains.

David Scheinert

Leçons ’particulières’ à l’Athénée Fontaine l’Evèque (1979)

Un professeur bien particulier sévit à Fontaine l’Evêque : c’est un fasciste, et fier de l’être. Il publie un petit journal : l’HAMIATI (intérêt du citoyen) et est affilié à la Ligue Civique belge, organisation « apolitique » qui a des idées politiques fort précises. La ligue civique s’en prend aux travailleurs immigrés, responsables, comme il se doit, du chômage, et de tous nos maux.
Pour exemple, un extrait de l’HAMIATI’ N°7 de janvier 1979 : « Aux fanatiques fontainois de l’Enrico. Comme leur idole, ils devraient consulter les textes.
Dans la chanson « Les Etrangers », E. Macias chantent : « Ils construisent des maisons qu’ils n’habitent jamais ». Ils découvriraient que les Maghrébins qui fournissent 6,6% des travailleurs du bâtiment se voient attribuer 13% des logements HLM et 20% des aides à l’habitat. Il a l’air malin, Macias, avec sa chanson. Vu de là, Enrico, c’est pas des problèmes pour toi, ça ! ».

Plus loin, on explique comment l’ immigration intensive provoque le chômage et la crise, et évidemment on exige un réferendum sur l’expulsion des travailleurs immigrés. Ce rédempteur, a la tête de prophète charismatique (il publie sa photo à côté de l’intitulé du journal) est un prof de mécanique qui a dans sa classe un bon nombre d’élèves immigrés. Pendant les cours, il ne cesse de les culpabiliser, il a même fait mettre des croix sur leur cahier pour les distinguer des autres. Partisan d’un régime fort en Belgique, il le fait déjà régner dans sa classe. Ses exactions restent impunies. A part quelques réactions isolées, les professeurs sont passifs (au nom du respect de la liberté d’expression) et le préfet n’ose agir alors que, manifestement, cet enseignant est dans la plus complète illégalité : il est déjà allé jusqu’à faire agrafer son journal, en classe, par les élèves... Abusant de son pouvoir de professeur, il terrorise, en classe, les élèves. 3 ou 4 d’entre eux ont déjà quitté l’établissement, dégoûtés par les vexations.

Le racisme et la xénophobie gagnent du terrain en Belgique (depuis les dernières élections, les gens d’extrême droite ont deux sièges au Parlement (1 Vlaamse Blok, l’autre UDRT). La crise économique, politique, celle des institutions, et le cortège de gouvernements démissionnaires font renaître des aspirations au régime fort, musclé, autoritaire. Ces opinions se répandent dans les masses, les partis institués, les syndicats et par la grande presse.

Le journal le plus lu à Charleroi est « La Nouvelle Gazette », de tendance libérale. Régulièrement, le journal rend compte de procès où sont impliqués des immigrés, en insistant lourdement sur leur nationalité. Dans leurs commentaires internationaux, le racisme est latent aussi. Sur l’Iran, dans la « Nouvelle Gazette » du 25 janvier 1979, p.2, un journaliste écrit : « La corruption ? Elle est insolite dans les mœurs iraniennes (et asiatiques) en général. Bien sûr, le Jaune est corrompu, l’Arabe cruel, le Noir... » etc.

De tels schémas crétinisants, rabâchés quotidiennement, à petites doses, ont un effet indéniable sur le lecteur. Ce racisme là, quotidien, ordinaire, a droit de cité dans les médias, et vient à l’aide des pitreries ridicules du professeur de Fontaine l’Evêque, et prépare des lendemains troubles....

(transmis par un abonné de la région de Charleroi)

Dur dur pour certains de décrocher un emploi (1995)

L’histoire des personnes engagées dans un processus d’insertion professionnelle ne commence pas le jour où elles se retrouvent sans emploi. Une suite d’échecs, une inactivité professionnelle, un manque d’expérience ou une faible qualification professionnelle, une image négative de soi et de ses capacités, une difficulté à communiquer, un isolement, l’appartenance à une autre culture,… sont déjà autant de « préjudices » aux yeux de l’employeur potentiel.

Et le découragement s’installe, car, trop souvent, la réponse de l’employeur est négative. Parce qu’elles sont trop peu qualifiées, trop âgées, parce que la connaissance du français est insuffisante, ou leur casier judiciaire non vierge, parce qu’elles sont d’une culture non occidentale ou de couleur…
Oui, le racisme est présent chez certains employeurs de manière explicite ou insidieuse. Ils l’expriment à la personne en recherche d’emploi ou au service d’insertion lorsqu’ils signalent une possibilité d’emploi ( être « belge d’origine », « étranger, oui mais à condition d’avoir le type CEE,…). Cela n’arrive pas tous les jours mais c’est chaque fois de trop. C’est en présentant l’histoire personnelle de personnes rencontrées dans le cadre de mon activité professionnelle que je vais illustrer cette difficulté de trouver du travail face à la discrimination raciale. Dans le chef de certains employeurs, l’appartenance culturelle où la nationalité sont des conditions indispensables que doivent remplir les candidats à l’embauche.

Jeudi 10 heures, un employeur nous appelle. « Je cherche une jeune femme belge, bilingue français-néerlandais, bonne présentation avec expériences pour servir en salle et faire de la petite restauration. C’est urgent ! ». Je connais Annie. Elle vient me voir régulièrement. Elle correspond au profil demandé. Je l’avertis et nous convenons d’un rendez-vous avec l’employeur . En fin de journée, celui-ci me téléphone : « Pour votre candidate, son bilinguisme est bon et son expérience suffisante, mais je voudrais que vous me procuriez une personne de race blanche ». En effet, Annie est métisse. Son père est belge et sa mère est zaïroise. Je refuse de chercher une autre candidate. De plus, l’employeur n’a pas eu le courage de lui signaler lui-même son motif dont le refus était simplement que « laisser travailler en cuisine ou en salle une personne de peau noire, cela indisposera les clients qui associent noire à sale »… Annie se décourage une fois de plus : « Pourquoi la couleur de ma peau me poursuit-elle dans ma recherche d’emploi ? ». Quelques semaines plus tard, Annie trouvera une place de vendeuse dans un magasin de vêtements.

Hassina a repéré dans le journal une offre qui lui conviendrait. Elle téléphone afin d’obtenir un rendez-vous. Une fois qu’elle donne son nom, la personne lui rit au nez en disant : « Bien sûr tout le monde cherche du travail, mais les Belges d’abord ». Hassina obtient quand-même un rendez-vous mais pour le surlendemain. Devant sa déception et son étonnement (c’est la première fois que cela lui était exprimé si directement), deux autres demandeurs d’emploi de son groupe de recherche active d’emploi, téléphonent à leur tour, question de tester l’employeur… Sophie, belge, obtient un rendez-vous le jour même et Guiseppe, italien, le lendemain.
Pour d’autres employeurs, le dialogue est possible quant à la nationalité ou à l’appartenance culturelle. Certains acceptent de retirer cette condition, d’autres non, pour ne pas perdre leur clientèle.

Une société de services a besoin d’une dame de cuisine. Nous sommes en plein Ramadan. L’employeur précise : « pas de musulmans car cela pose problème : ces femmes mangent pendant le travail car c’est l’heure pour elles, elles travaillent moins bien. Pas question d’avoir encore des problèmes ». Aïcha est en face de moi pendant que je reçois la communication. Elle a une petite expérience dans le domaine et vient souvent me voir. Elle veut du travail. Devant les raisons invoquées par l’employeur, elle me répond qu’elle fait le Ramadan mais que cela ne constitue pas un obstacle au travail : elle mangera après et sa santé est bonne. Devant sa bonne foi et sa volonté, je contacte l’employeur et arrive à le convaincre. Aïcha a été engagée et aucune plainte de l’employeur ne m’est parvenue, bien au contraire.

Une petite société recherche un chauffagiste qualifié. Un jeune Marocain tout nouvellement sorti de ses études techniques dans le domaine est intéressé par l’offre. L’employeur refuse de le rencontrer en invoquant l’attitude de sa clientèle : « J’ai déjà un ouvrier marocain qui travaille très bien, et j’en prendrais bien un deuxième, mais pour moi c’est une perte de temps car je dois chaque fois aller avec ce jeune pour rassurer mes clients et leur dire qu’il s’agit d’un de mes ouvriers. Je ne peux pas l’envoyer seul. Alors, engager un deuxième, vous comprenez ».

Nessim a 40 ans. Il est soudeur et a quelques années d’expérience. Il se présente chez un employeur à la recherche de soudeurs expérimentés. Lors de l’entretien, celui-ci signale qu’il ne veut pas engager de Turcs car il a déjà eu des problèmes avec des ouvriers turcs. Ce à quoi Nessim répond calmement « Il y a des mauvais Turcs comme il y a des mauvais Belges ; je suis un bon Turc, faites un essai et vous verrez ! ». L’employeur s’est laissé convaincre à la joie de Nessim. Son jour d’essai est concluant et il est engagé. Aux dernières nouvelles son employeur est satisfait !

Ces quelques témoignages illustrent la difficile recherche d’un emploi de ceux qui sont confrontés à la discrimination raciale. Néanmoins, pour ceux qui font le pari de leur accorder confiance, la « légitimité » d’un refus pour raison raciale ou culturelle apparaît comme totalement insignifiante voire médiocre…
Espérons que cette prise de conscience ne se fasse pas au détriment d’une génération mais s’affirme sans attendre !

Anne Brisbois
Psychologue dans un Service d’insertion socio-professionnelle en région bruxelloise

Schaerbeek Violence et Xénophobie (1986)

Le 23/5/1986, le bourgmestre Nols prenait une ordonnance prétendument fondée sur l’extrême urgence, interdisant les attroupements et rassemblements de plus de 5 personnes sur le territoire de Schaerbeek du 23 mai au 10 juin 1986. « Les attroupements ou rassemblements seront dispersés par la force » prévoyait la même ordonnance qui visait à prévenir « des troubles graves mettant en péril la sécurité publique ».
Dès la publication de l’arrêté, le front antiraciste de Schaerbeek appela à une manifestation contre cette violation ouverte de la liberté constitutionnelle de s’assembler paisiblement.

Coucher de soleil à Schaerbeek.

Le 27 mai, à 22 heures, 200 personnes venaient braver l’interdiction de Nols devant la maison communale, dénonçant le couvre-feu comme une atteinte aux libertés et comme une vexation particulière à l’égard des musulmans de la commune. Le Ramadan a en effet pris fin le 10 juin.

Le couvre-feu également. Les musulmans respectent le jeûne toute la journée pendant le Ramadan et, le soir venu, se rendent à la Mosquée. Ce n’est qu’au coucher du soleil qu’ils s’égaylent dans les rues pour les réjouissances du soir. A 10h, la rue est le lieu où les fidèles se regroupent en famille, entre amis ou entre voisins. L’instauration de couvre-feu correspondant exactement à la durée du Ramadan n’est pas une coïncidence.

La manifestation s’était déroulée calmement et dignement. Vers 22h30, après la dispersion des manifestants, la police s’approchait d’un groupe s’éloignant de la place Collignon. Plusieurs policiers assaillirent alors trois manifestants après les avoir invectivés, sans que le moindre trouble justifie une quelconque intervention. Sans sommation, un policier s’est déchaîné à la matraque sur un homme de 56 ans et sur son fils. Frappés brutalement, les deux hommes durent être admis à l’hôpital où l’un d’eux, le père est resté une semaine, victime d’une commotion cérébrale.

« Dispersion par la force » disait l’Arrêté du bourgmestre. Pour cette fois, c’était réussi ! Le lendemain, Nols déclarait « Si ces manifestants n’étaient pas venus vers la maison communale, nous n’aurions sans doute jamais dû intervenir » ! Les victimes ont porté plainte contre les policiers responsables. Rien n’indique à ce jour que ces derniers aient été identifiés et que le Parquet ait entamé des poursuites.

La tutelle se cache.

Dès la publication de l’ordonnance, 17 Schaerbeekois introduisaient un recours en suspension auprès du Gouverneur de la Province.

De même, ils demandaient au Ministre de la Région bruxelloise de Donnéa, autorité de tutelle, d’annuler la mesure anticonstitutionnelle.

Le 5 juin, le Conseil communal se réunissait. Auparavant, le Front Antiraciste de Schaerbeek et la Ligue des Droits de l’Homme avaient adressé à chacun des conseillers communaux une lettre attirant leur attention sur l’atteinte grave aux libertés que le bourgmestre leur demandait de ratifier. A huis clos et à une large majorité, le Conseil communal avalisait son bourgmestre, prolongeant le couvre-feu, jusqu’au trente juin. Satisfait de sa « victoire », Roger Nols s’est dit « persuadé qu’au-delà de cette date, les choses iront mieux. Les fauteurs de troubles retournent en vacances au Maroc ou en Turquie ».

Le 19 juin, une délégation de Schaerbeekois s’est rendue au cabinet du ministre de la Région bruxelloise pour remettre à Monsieur de Donnéa une pétition signée par 250 personnes demandant l’annulation immédiate du couvre-feu, et pour s’enquérir des suites de leur recours. Il leur fut rétorqué que, suite au dépôt du recours, le ministre se demandait s’il avait vraiment le pouvoir d’annuler un arrêté de police d’un bourgmestre ou si cette tutelle ne relevait pas plutôt de la compétence du ministre de l’Intérieur. Ce déni de responsabilité s’est prolongé jusqu’au 30 juin. Le ministre s’est ensuite empressé de déclarer que, le dossier était clos, il ne comptait pas intervenir. La section bruxelloise de la Ligue des Droits de l’Homme ne partageait pas ce point de vue. En juillet, elle adressait au Ministre de Donnéa une lettre ouverte lui demandant de « traiter sans délai les recours en annulation introduits depuis le début du mois de juin par des habitants ». Il est vrai que l’annulation de l’ordonnance reste nécessaire après l’expiration de son délai d’application : le désaveu légal par l’autorité de tutelle devra décourager les pouvoirs locaux de prendre des mesures du même type à l’avenir. En outre, si des poursuites ont été dirigées contre des contrevenants au couvre-feu, il importe de dire que la mesure étant nulle, son inobservation ne peut être punie.

Depuis, on attend une décision du Ministre, d’autant que ce dernier s’est vu remettre le 10 juillet un rapport du Gouverneur du Brabant favorable à l’annulation. Au-delà des objections relatives à l’incompétence prétendue du Ministre, qui ne résistent pas à l’analyse, l’abstention de Donnéa est une incompétence politique : aucun homme politique ne souhaite affronter Nols.

Toute la vérité.

Nols de son côté persévère. Au moyen de fonds que nous imaginons publics, il a édité et fait distribuer dans les écoles de Schaerbeek un extrait de sa prose intitulée « Drogue mon amour-
un super Hiroshima ». Sous ce titre baudeléro-durassien, Nols soumet à l’esprit, qu’on espère critique, des élèves schaerbeekois, le résumé de 22 pages de toutes les grandes vérités qu’une lecture trop confiante de Tintin, de Vlan et de Sélection du Reader’s digest a gravé dans son esprit : Notre jeunesse est droguée, prostituée, découragée, pacifiste, mal informée….

Cette situation alarmante est due aux patrons de la drogue et de la prostitution et aux terroristes qui, quoique tirant bénéfice de leur activité de substantiels bénéfices, n’agissent pas proprio motu : c’est Moscou qui fournit la drogue et tire les ficelles. Conclusion : il faut rétablir la peine de mort.

Autres responsables : les immigrés nord-africains. « Le bouillon de cultures n’est pas responsable des bactéries qui y prolifèrent, précise Nols, mais sans lui, les bactéries ne pourraient se multiplier ». « Les immigrés nord-africains fournissent un milieu favorable au trafic de la drogue ». La preuve ? « Qu’on se souvienne des assassins, « les haschichins », ainsi nommés parce que leur grand maître s’assurait leur obéissance en les droguant au haschich ». Si cela ne suffit pas, sachez que « la police a découvert des kilos de stupéfiant dans des véhicules de vacanciers marocains rentrant dans leur pays ».

Nombreuses sont les personnes qui, ayant eu connaissance de la brochure, ont fait connaître leur indignation. La réaction la plus intéressante a été adressée aux journaux par une douzaine d’élèves du lycée Emile Max ; »Nous avons été choqués par l’abus de pouvoir commis par Monsieur Nols (…) Il y a dans cette brochure un amalgame de thèmes tout à fait différents (…) dangereux pour les élèves des classes inférieures n’ayant pas de formation politique ».

Enfin, le trente juillet, Nols déclarait à propos de l’arrestation de sa propre fille, inculpée de détention de stupéfiants : « La fréquentation de milieux immigrés présente un risque particulier ». Il n’en rate pas une. Cette fois, n’en fait-il pas trop ?

Hervé LOUVEAUX

Refus d’inscription au quotidien (1983)

Depuis septembre 1981, une partie importante des dossiers "consultants" ouverts au centre, ou repris dans la masse des dossiers anciens, comportent un problème de refus d’inscription.

Il est impossible d’évaluer le nombre de personnes de nationalité étrangère qui en ont été victimes et qui le sont encore quotidiennement.
La pratique de violation de la loi, inaugurée par le Bourgmestre de Schaerbeek en septembre 1981, s’est poursuivie depuis et s’est instaurée progressivement, comme par contagion, dans de nombreuses communes de l’agglomération bruxelloise.

Aucun chiffre officiel n’est donné. Les refus sont parfois notifiés aux intéressés par écrit, mais sans justification individuelle. Il arrive plus souvent qu’ils leur soient signifiés verbalement par l’employé du guichet. Ou bien l’attente d’une décision est indéfiniment prolongée.
Des décisions favorables sont parfois prises "au cas par cas", selon les interventions sollicitées et obtenues et selon des critères subjectifs "d’étrangers souhaités ou non-souhaités". Ces critères se basent, semble-t-il, sur le statut salarial de l’intéressé, mais aussi sur ses charges de famille et sa nationalité.

Les immigrés concernés se signalent à l’un ou l’autre service social ou comité de quartier, à leur syndicat, s’adressent à un avocat, ou bien ils attendent dans des sentiments qui semblent souvent être d’une grande passivité.

Impossible donc de les dénombrer.

Rappelons les catégories de personnes touchées, et le fait que toutes remplissent les conditions requises pour séjourner légalement dans le pays. Il s’agit :

§de familles rejoignant, sur base de l’autorisation au regroupement familial, l’époux travailleur déjà installé en Belgique,
§de familles, d’étudiants, de réfugiés politiques transférant leur domicile d’une commune à l’autre,
§d’étudiants ou de candidats réfugiés politiques venant d’arriver dans le pays,
§de nouveaux-nés...

Les refus d’inscription représentent pour le centre d’accueil du MRAX une grande surcharge de travail, étant donné la multiplicité et la gravité des conséquences qui en découlent.

Quelles sont ces conséquences ?

Nous les détaillerons d’abord et en donnerons ensuite les illustrations.

Pour ceux qui bénéficieraient normalement du regroupement familial :

§séjour illégal ;
§refus d’inscription des enfants à l’école, ce qui entraîne le défaut d’enseignement, le désœuvrement et ses conséquences.
§impossibilité d’obtenir un permis de travail pour l’époux(se) et les enfants en âge de l’avoir, ce qui tendrait à favoriser le travail clandestin ;
§pas d’allocations familiales, pas d’inscription à la mutuelle et donc de couverture des soins de santé.

Pour les personnes qui ont demandé leur transfert d’une commune à une autre :

§séjour illégal ;
§refus d’inscription des enfants à l’école du nouveau lieu de résidence ;
§impossibilité de toucher des assignations postales représentant, entre autres, les indemnités de chômage, de maladie, les allocations familiales .

Pour les candidats réfugiés politiques arrivant dans le pays :

§séjour illégal ;
§pas d’aide sociale en dehors de la première "aide d’urgence".
§pas de possibilité d’obtenir un permis de travail d’où tentation du travail clandestin,

Pour les étudiants :

§séjour illégal ;
§répercussions au niveau des inscriptions scolaires définitives, des exemptions éventuelles du minerval, des homologations de diplômes, de la délivrance des permis de travail d’étudiant, d’accès au logement, d’accès au compte bancaire ...

De tout cela découle un désordre extrême, qui marque la désapprobation d’une partie des administrations et l’accord de certains. En effet :

Certaines caisses d’allocations familiales font usage du caractère licite de baser l’octroi des allocations sur la production de deux attestations testimoniales établissant que les enfants résident bien à l’adresse de l’attributaire et y sont élevés par la mère.

Certaines mutuelles se basent soit sur la preuve de l’octroi des allocations familiales, soit sur le visa d’entrée délivré par le consulat de Belgique du pays d’origine, pour inscrire les familles en tant que bénéficiaires des soins de santé.

Beaucoup d’écoles refusent l’enseignement aux enfants. D’autres exigent le paiement du minerval, prohibitif pour beaucoup de familles. Heureusement. il y a des écoles plus accueillantes qui reçoivent les enfants sans les déclarer.

Des employés de poste compréhensifs paient quand même les assignations...
Mais il s’agit toujours de décisions arbitraires et dont l’obtention nécessite de nombreuses démarches et, généralement, l’intervention des services sociaux.

Quelques exemples :

1.Monsieur X réside depuis longtemps en Belgique et y travaille régulièrement. Il se marie au Maroc en novembre 1981 et fait les démarches nécessaires pour obtenir le bénéfice du regroupement familial pour son épouse. La commune de Schaerbeek refuse cependant son inscription et oppose aux demandes d’explication le texte de la loi de 1952 ! Loi abolie par l’entrée en vigueur de la nouvelle loi votée le 15 décembre 1980.
Monsieur X s’adresse au Ministère des Affaires Etrangères et à l’Office des Etrangers qui lui répondent tous deux qu’ils ne sont pas habilités à intervenir dans les affaires communales. Cependant, il était convenu que le jeune couple habiterait à Schaerbeek dans la maison achetée par les parents un an auparavant ; elle est assez spacieuse pour abriter toute la famille et maintenir son unité. Mais elle a été achetée à crédit et est remboursable à raison de 27.000 francs par mois ; il est donc indispensable que les fils mariés y contribuent. D’autre part, le contrat d’emprunt prévoit expressément que la maison ne pourra être louée tant que l’emprunt ne sera pas remboursé. Le refus illégal d’inscription vient bouleverser cet arrangement. Le jeune couple devrait se faire domicilier ailleurs et la famille, faute de sa participation, devrait vendre la maison !

2.Monsieur H. est turc et réside en Belgique depuis 1966. Il se marie en juillet 1981. Son
épouse obtient le visa d’entrée au consulat de Belgique en Turquie et rejoint son mari à Schaerbeek où l’inscription lui est refusée par écrit le 13 octobre 1981.
Le couple se fait alors domicilier à Bruxelles, tout en résidant effectivement à Schaerbeek. Mais Bruxelles effectue un contrôle de résidence réelle et refuse de prolonger la domiciliation.
Madame H. met au monde un enfant qui n’obtient pas davantage l’inscription.

Actuellement, 21 mois après, Madame H. et l’enfant sont toujours en illégalité. Les allocations familiales sont en souffrance. Et Monsieur H. touche les indemnités de chômage selon le code inférieur de "célibataire".

3.Monsieur et Madame B. habitent un taudis à St-Gilles avec leurs huit enfants. Après de longues et vaines recherches, ils trouvent enfin une maison unifamiliale à Schaerbeek. Elle est suffisamment spacieuse et Monsieur B. qui est au travail depuis 10 ans chez le même employeur n’a pas de problèmes à en assumer le loyer.
Mais Schaerbeek leur refuse l’inscription. Et se met en mouvement tout le processus des difficultés et des vexations...

4.Monsieur H. est marocain et vit en Belgique depuis 20 ans. Son épouse et deux de leurs trois enfants le rejoignent en 1978. L’aîné reste au Maroc auprès des grands-parents, puis rejoint la famille en 1981. L’inscription lui est refusée après de longs mois d’atermoiements. « Comme dit l’employé communal : on ne veut plus des immigrés ici. Mon enfant risque de perdre son année scolaire. De plus, on me demande de payer le minerval. Je ne sais plus quoi faire ! Ma femme n’arrête pas de pleurer et moi-même je deviens malade dans ce pays qui se dit démocratique. Comment peut-on vouloir séparer un enfant de sa famille ? »

Que font les assistants sociaux et le service juridique du centre d’accueil devant les cas de refus d’inscription ?

§Mobiliser les personnes et les amener à un esprit de solidarité et de revendication collective. Ce n’est pas facile car la perte de confiance dans les pouvoirs publics est totale et le découragement profond.

§Utiliser les pistes décrites plus haut pour obtenir quand même la couverture des soins de santé, les allocations familiales, l’accès à l’école pour les enfants ...

§Envisager et introduire les recours mis à disposition : recours gracieux auprès du Collège des Bourgmestres et Echevins, ce qui permet au moins d’espérer une notification écrite du refus, recours organisés auprès du Gouvernement Provincial et du Ministre de la Tutelle, recours judiciaires devant le Conseil d’Etat et les tribunaux ordinaires.

Le plus difficile est de canaliser les sentiments d’injustice subie vers une action solidaire et déterminée de défense de ses droits, et d’éviter les réactions agressives incontrôlées, le racisme à rebours qu’engendre surtout l’impossibilité de se projeter dorénavant dans l’avenir.

Nos problèmes actuels de société sont graves.
Les pouvoirs publics sont inexcusables d’y ajouter le déni de droit, le mépris des personnes et un racisme institutionnel scandaleux.

Quelle voie prend notre "démocratie", si ce n’est celui de la dérision ?

L’équipe du centre d’accueil
MRAX

Le racisme et sa répression dans la loi belge (1990)

Historique

Le racisme est un sentiment latent en toute société humaine.
Cependant à certaines périodes et souvent lors des crises économiques, ce sentiment se manifeste de manière plus flagrante et peut, si on le laisse se développer, aboutir à l’horreur, l’extermination, l’Holocauste.
Après la seconde guerre mondiale, les populations d’Europe Occidentale ont découvert souvent avec honte le sort qui avait été réservé au peuple juif et ont été quasi unanimes pour condamner sévèrement l’attitude et la pensée nazies.
Il ne fallut pourtant pas attendre longtemps pour assister à une renaissance de certains mouvements antisémites en Allemagne Occidentale et à l’éclosion du « néonazisme » dans notre pays.
Dès la fin des années 50 cette situation va inquiéter certains de nos parlementaires et en réponse à ces préoccupations deux propositions de loi seront déposées en 1960, l’une au Sénat par M. Rolin Orban, Georges, Derbaix et Vermeylen et l’autre à la Chambre par MM. Moulin et Dejace.
Toutes deux ont un objet semblable qui consiste à réprimer les manifestations de racisme et d’antisémitisme.

Malheureusement ces propositions ne seront jamais transformées en loi et il faudra attendre jusqu’au premier décembre 1966 pour qu’une nouvelle proposition soit déposée à la Chambre par Monsieur Glinne.

Ce nouveau texte avait, par ailleurs, un objet plus étendu que ses prédécesseurs, car il visait également la protection des étrangers qui arrivaient de plus en plus nombreux dans notre pays, pour participer à l’essor industriel.

Le premier pas vers le texte actuel de la loi avait enfin été réalisé, mais il faudra beaucoup de ténacité à ceux qui soutenaient cette proposition et notamment à MM. Glinne et Dejardin qui redéposeront ce texte régulièrement pour qu’enfin l’on aboutisse en 1978 et 1979 à la discussion générale du texte par la Commission de la Justice.

Parallèlement le texte de cette proposition de loi sera également déposée au Sénat le 29 novembre 1980 par un ensemble de Sénateurs de différents partis politiques. De plus, elle à également reçu le soutien de nombreuses associations politiques, philosophiques ou religieuses, telles que la Ligue belge de Défense des Droits de l’Homme, le MRAX., OXFAM, les évêques de Belgique, les Conseils Consultatifs des Immigrés….
Ce sont les efforts conjoints de cette multitude d’individus et de groupements tout au long de 15 années qui ont permis d’arriver enfin au vote de la loi du 30.07.81 (publication au Moniteur belge le 8 août de la même année).

Droit en matières annexes

Le besoin de légiférer sur la situation des étrangers s’est également fait sentir en Belgique dans d’autres domaines que la lutte contre le racisme.
En effet, à ce sujet il peut être mentionné notamment la loi du 15.12.80 sur le Statut des Etrangers(accès, séjour, établissement et éloignement) qui a clarifié et amélioré sensiblement leur situation dans notre pays.
D’autre part, notre loi du 30.07.81 s’inscrit encore dans un courant législatif international.
En effet, le Conseil de l’Europe avait adopté le 31.10.68 une résolution sur les mesures à prendre contre l’incitation à la haine raciale et nationale.
Parallèlement, à un niveau international plus étendu, le 7 mars 1966, une convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciale avait été votée à New York à la quasi unanimité des voix.
Le 9 juillet 1975, une loi belge approuvait cette convention et engageait ainsi la Belgique à introduire dans sa législation interne les principes qui y étaient précisés, ce qui rendit urgent l’adoption de la proposition de loi de Monsieur Glinne.
Enfin, certains de nos voisins européens ont également établi des textes législatifs destinés à lutter contre le racisme et la xénophobie.
La Grande Bretagne fut le premier à adopter une législation interne en la matière, par le premier Race Relation Act, entré en vigueur en 1965.
La France également a fait un effort en ce sens, qui s’est concrétisé dans la loi du 2 juillet 1972 concernant la lutte contre le racisme ainsi que dans celle de 1977 qui rend punissable les actes ou omissions qui contribuent à rendre plus difficile l’exercice d’une activité économique. L’on peut encore citer, par exemple, la République Fédérale d’Allemagne qui en 1973 a introduit dans son Code Pénal un texte destiné à réprimer l’incitation à la haine raciale.

Utilité des lois

Le racisme et la xénophobie ne naissent évidemment pas d’une lacune dans une législation. Ces attitudes et sentiments sont plutôt favorisés par une situation politique, économique ou sociale, peu satisfaisante ou par certaines formes d’éducation.
Il semble donc évident qu’il ne suffit pas d’une loi pour résoudre les problèmes que peut poser la haine de l’étranger mais qu’il faudrait arriver à modifier les sentiments en profondeur. Mais il s’agit là d’un effort de longue durée qui devrait en effet pour être efficace s’étendre sur plusieurs générations et toucher tous les aspects de la vie sociale, économique et politique car, en réalité, cela revient à vouloir changer les habitudes de pensée d’une population donnée.
Entre-temps il est cependant possible de lutter efficacement contre les manifestations les plus visibles et les plus pénibles de la xénophobie en promulguant et en faisant respecter des textes législatifs qui les répriment.
Le Législateur belge en adoptant la loi du 30 juillet 1981 était conscient de l’insuffisance d’un texte législatif pour modifier la situation en profondeur.
Il a partout voulu franchir une étape vers le respect des droits des étrangers et cela dans le cadre de nos obligations légales internationales.

La loi belge du 31.07.81

La loi du 31.07.81 trouve donc sa genèse dans deux axes qui se rejoignent. Le premier consiste en la crainte ressentie devant la reconnaissance des nazis et antisémites, le second étant le désir de protéger les étrangers vivant en Belgique des injures et des actes de malveillance basés sur la nationalité ou religion. Pour rencontrer ces préoccupations, le législateur a adopté un texte répressif, c’est-à-dire une loi qui rend punissable certains actes de « discrimination raciale. »
Mais le premier problème qu’il fallut résoudre fut de déterminer ce que recouvrait cette notion.

Article 1
La convention Internationale de New York que la Belgique s’était engagée à transcrire dans la législation interne, avait retenu comme causes de discrimination, la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.
La loi belge qui tend à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie a repris textuellement ces mêmes causes de discrimination. En effet à son article 1er, ce texte a prévu de punir de peines d’emprisonnement ou d’amendes quiconque aura, dans certaines circonstances, incité à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe pour une des causes susmentionnées.

Il punit également celui qui donne une publicité à son intention de pratiquer une discrimination raciale. Mais il s’agit là, déjà, d’un autre problème qui s’est posé à notre législateur. En réalité, ce que les défenseurs de ce courant législatif voulaient combattre, c’est le racisme lui-même, c’est-à-dire, une attitude d’esprit, un sentiment.
En conséquence, le risque était donc grand d’aboutir à un délit d’opinion. L’esprit démocratique implique en effet que chacun puisse avoir sa propre opinion. Il est de plus extrêmement dangereux de sanctionner les pensées, car cela peut aboutir à des excès et notamment à permettre de poursuivre et punir des êtres humains sur base de leurs pensées supposées sans qu’ils n’aient en fait réalisé aucun acte dommageable pour autrui. Il était donc indispensable de se limiter à réprimer, non pas une opinion raciste xénophobe mais plutôt les manifestations tangibles de cette opinion.

C’est pourquoi l’article 1 de la loi du 31.07.81 ne vise pas le racisme en tant que tel mais l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence lorsqu’il s’accomplit suivant certaines formes de publicité. Ce texte relativement large quant aux manifestations qu’il englobe, présente, pourtant, des difficultés d’interprétation. En effet, les magistrats qui ont à l’appliquer, doivent dans chaque cas d’espèce déterminer si les faits en cause démontrent l’existence d’un des comportements visés par la loi et s’il a été motivé par une des causes précisées dans ce même texte.

Un exemple peut aider à comprendre ce problème d’interprétation : lorsqu’un magistrat doit déterminer s’il y a eu un meurtre, il peut fonder son opinion sur la matérialité des faits c’est-à-dire dans notre exemple fictif, l’existence d’un cadavre avec éventuellement un couteau planté dans son dos.

Par contre, il est beaucoup plus difficile de se baser sur des faits matériels évidents lorsque l’on doit déterminer s’il y a eu incitation à une haine basée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine. Parallèlement, toute discrimination n’est pas, en soi, condamnable, le droit à la différence étant en effet reconnu. Mais ce qui est punissable c’est la discrimination qui entraîne une dépréciation d’une personne ou d’un groupe en fonction de leur différence, raciale, ethnique.

En résumé, l’article 1 de notre loi concerne donc l’incitation au racisme ou à la xénophobie et, sa difficulté principale me semble être d’éviter d’en faire un délit d’opinion.

Article 2
Cet article concerne plus spécialement les actes discriminatoires eux-mêmes et précise la notion puisqu’il sanctionne les actes discriminatoires commis lors de fourniture de biens ou de service dans les lieux publics.
Par exemple, cet article interdit à un commerçant de ne pas servir un client parce que celui-ci n’aurait pas la ‘bonne’ couleur de peau ou ne professerait pas la ‘bonne’ religion.
Cependant cet article, malgré son importance, a une portée relativement restreinte puisqu’il se limite aux lieux accessibles au public. Il ne vise notamment pas les discriminations à l’embauche ou le refus de location d’immeubles.

Article 3
L’article 3 de la loi du 30 juillet 1981 sanctionne d’emprisonnement ou d’amende « quiconque fait partie d’un groupement ou d’une association qui, de façon manifeste répétée, pratique la discrimination raciale ou prône celle-ci. »
Cet article va en conséquence permettre de poursuivre des personnes qui font partie d’un groupement qui fait souvent de manière évidente acte de discrimination même s’il n’est pas prouvé que la personne en cause a participé directement à la comission de ces actes.

Article 4
Un aspect important de la vie publique est envisagé par cet article. En effet il sanctionne les fonctionnaires, agents publics, représentants des autorités qui refuseraient arbitrairement l’exercice d’un droit ou d’une liberté à une personne ou à un groupe en raison de la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.

Article 5
Enfin, l’article 5 est celui qui a suscité le plus de controverses car il accorde à certaines associations le droit d’agir en justice pour faire respecter les règles précisées par les 4 articles précédents.

Or ce principe est relativement inhabituel par rapport au droit belge traditionnel qui n’accorde le pouvoir de saisir la justice que, d’une part, à la société belge représentée par les fonctionnaires spécialement chargés de cette mission et d’autre part, personnellement à l’individu victime d’une infraction.

Par contre depuis la loi du 30.07.81, certaines associations et établissements d’utilité publique qui ont prévu dans leurs statuts la défense des droits de l’homme ou le combat contre la discrimination raciale pourront agir en justice contre un délinquant qui n’aurait pas nui à l’association elle-même. Ce pouvoir est cependant limité principalement par deux conditions, l’une étant que l’établissement ou l’association en cause jouisse de la personnalité juridique depuis au moins cinq ans à la date des faits, et l’autre consistant en l’obligation d’obtenir dans certains cas l’accord préalable de la victime. Comme nous pouvons le constater la Belgique a franchi une étape importante dans la lutte contre les discriminations raciales en adoptant la loi du 31.07.81.
En effet ce texte tend à réprimer un certain nombre de comportements extrêmement nuisibles pour une vie en société qui accepterait réellement le droit à la différence.
Malheureusement, et peut-être inévitablement, ce texte présente des lacunes et certaines difficultés d’interprétation. Il faut reconnaître, par ailleurs, que ses défenseurs n’ont jamais eu l’ambition de résoudre ainsi la totalité du problème des discriminations raciales en Belgique.

Jurisprudence

Il y a maintenant plus de 7 ans que la répression du racisme et de la xénophobie a fait l’objet d’une loi. Il faut cependant constater avec étonnement qu’il n’existe à ce jour, que quelques très rares décisions juridiques qui condamnent des délinquants sur base de ce texte.
Pourtant des plaintes sont régulièrement déposées mais la plupart d’entre elles sont classées sans suite.
A Bruxelles, par exemple, il y aurait eu en 1985 et 1986 343 plaintes dont 317 auraient été classées sans suite ! De plus, lorsqu’enfin, une affaire de discrimination raciale arrive devant les tribunaux, ceux-ci semblent être souvent réticents à condamner sur base de la loi en cause.

Quelques exemples de décisions

Le premier ensemble de décisions qui sont dignes d’attirer l’attention concerne l’emploi des mots « bougnoul » et « raton ».
L’article 1 de la loi du 30.07.81 fut la première fois utilisé lors de poursuites contre un individu qui avait utilisé « bougnoul » dans une invitation toute boîtes. En cette affaire, les organisateurs d’un bal avaient interdit l’entrée au « bougnoul ».
Cependant, ni la Chambre du Conseil, ni la Chambre des Mises en Accusation qui a eu à connaître de cette cause en degré d’appel, n’ont estimé devoir reconnaître l’existence d’une infraction et l’affaire fut l’objet d’un non-lieu. Ces deux juridictions ont, pour motiver leurs décisions, suivi la thèse du prévenu qui avait soutenu que le terme employé ne désignait pas des étrangers mais plutôt des gens ‘mal habillés’, la Chambre des Mises en Accusation a estimé, en outre que, le mot « bougnoul » n’est pas nécessairement injurieux !
Cependant, en cette matière précise, un jugement du 23.12.87 du Tribunal Correctionnel de Charleroi nous permet d’espérer que cette jurisprudence ne sera pas suivie par les autres tribunaux du pays.
En effet, le Tribunal de Charleroi a reconnu que le terme ‘raton’ qui avait été utilisé en l’espèce, est synonyme de « bicot’ ou de « bougnoul » et est une injure raciste.

Le second ensemble de décisions concerne un Conseiller communal qui avait insulté un adversaire politique par les mots ‘sale Juif’. Ces termes furent reconnus comme une injure raciste proférée dans les circonstances de publicité exigées par la loi, et le prévenu a donc été condamné.
Cependant, une autre procédure intentée dans la même affaire n’a pas abouti. Dans ce dernier cas, 2 individus étaient poursuivis pour avoir diffusé des documents comportant des caricatures et des textes attaquant des adversaires politiques (dont la personne insultée suivant les mots « sale juif »). Pourtant ni le Tribunal Correctionnel ni la Cour d’appel n’ont condamné ces prévenus alors que les documents en cause reproduisaient les portraits des adversaires politiques par des dessins qui les présentaient sous l’aspect caricatural du juif typique et que de lourdes allusions à la trahison de Judas y étaient reprises. Les prévenus avaient donc clairement fondé leur propagande politique sur le fait que leurs adversaires étaient juifs en faisant un défaut, une tare.
Malgré cette évidence, le Tribunal Correctionnel les a acquittés. La Cour d’Appel a réformé ce jugement mais sans condamner estimant qu’il s’agissait d’un délit de presse, pour lequel, seule la Cour d’Assises est compétente.

Le troisième groupe de décisions concerne un cas critique de discriminations raciales c’est-à-dire le refus de servir un étranger. En l’espèce, les tenanciers d’un débit de boissons étaient poursuivis pour avoir refusé de servir à boire à des étrangers. Le Tribunal de Namur saisi de cette cause a reconnu que les faits étaient établis mais a cependant acquitté les prévenus au bénéfice du doute, estimant que le motif du refus de servir n’était pas suffisamment prouvé ; Pourtant un des témoins avait entendu la phrase « on ne sert pas les étrangers » et aucun autre motif à ce refus n’avait pu être avancé par les prévenus.
Cette décision a heureusement été réformée en degré d’appel et les prévenus furent finalement condamnés.

Il faut encore signaler une décision du 30.12.87 par laquelle le Tribunal Correctionnel de Bruxelles a condamné un jeune Marocain pour avoir injurié un de nos hommes politiques.
Cette décision semble paradoxalement extrêmement sévère car elle est uniquement basée sur une affirmation du plaignant.

Un cas est digne d’intérêt en ce qu’il met en cause une organisation qui pratiquerait de façon manifeste et répétée la discrimination raciale en l’espèce une association qui avait pour but de lutter contre l’immigration non-européenne. Le Tribunal Correctionnel de Bruxelles a cependant acquitté les prévenus, notamment aux motifs que "l’objet de l’association s’étend au-delà du seul problème de l’immigration » et que « l’immigration est un phénomène social et non racial ». Il avait pourtant, par ailleurs, reconnu « que les propos ou écrits de l’association en cause paraissent outranciers et certainement blâmables ».
La Cour d’Appel a ensuite confirmé ce jugement.

Conclusion

Il y a, en fait, fort peu de décisions, ce qui rend difficile la détermination des tendances de la jurisprudence. Cependant, le très petit nombre de condamnations en la matière fait déjà apparaître que nos magistrats semblent réticents à utiliser la loi du 30.07.81.
De plus, les quelques décisions obtenues sont souvent contradictoires entre elles et font apparaître des lacunes de la loi.
L’on peut citer par exemple le problème du délit de presse.
La loi de 1981 ne permet en effet pas de déterminer avec précision la juridiction compétente pour statuer sur la diffusion d’écrits comportant des incitations à la discrimination.

Simone LUCKI, avocate

L’application de la loi Moreaux (1993)

La loi tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, dite loi Moureaux, date du 30 juillet 1981.

Jusqu’à très récemment, cette loi est restée virtuellement lettre morte. Un rapport émanant du Ministère de la Justice de 1990 précise que 1266 plaintes enregistrées entre ’81 et ’89, 987 ont été classés sans suite, 43 ont fait l’objet d’une procédure en justice dont seulement 14 ont mené à des condamnations.

Cette situation particulièrement décourageante pour les victimes d’actes racistes, et indigne pour notre état de droit, est causée par une multitude de raisons dont trois se sont toujours manifestées comme décisives :

§l’absence de volonté d’appliquer la loi de la part des parquets ;
§l’absence de la part des juges, de prendre une position claire vis-à-vis de cette loi et
§(Last but not least) des lacunes importantes qui se situent dans la loi elle- même.

Ce dernier élément est soumis à l’attention de la Commission Justice du Sénat suite à une proposition de loi faite par le sénateur Erdman.
Cependant, le débat autour de cette proposition s’est endormi depuis quelques mois...
Par contre, en ce qui concerne les deux éléments précédents, des évolutions très importantes se sont produites dans le courant de l’année ’93.
Il s’agit de deux décisions remarquables, l’une prise par le tribunal correctionnel de Liège, l’autre par la Cour de Cassation. Dans les deux procédures, le MRAX est engagé comme partie civile.

Dans l’affaire devant le tribunal correctionnel de Liège, il s’agissait de tracts et d’affichages racistes diffusés par le P.F.N. au cours de la campagne électorale communale d’octobre 1988. L’image représentait un couple de type maghrébin, porteur d’un sac barré de la mention CPAS, auxquels un doigt crochu indiquait le chemin du retour, Alger ou Kinshasa. Une image semblable encore plus agressive, a été reprise par AGIR, toujours à Liège pendant la campagne pour les élections parlementaires de novembre 1991.

Dans l’arrêt rendu par la Cour de Cassation, il s’agit de tracts qui ont été distribués en avril
1989 et août 1990 dans plusieurs quartiers de Tubize.
Ils étaient intitulés « Pologne 1939- Bruyères 1989, Immigration = Invasion, Belges réveillez-vous ». Les auteurs de ces tracts rendaient les immigrés responsables de la dégradation de l’habitat, de la drogue et de la délinquance.

L’arrêt par la Cour de Cassation dans l’affaire des tracts racistes à Tubize à été rendu le 19.05.1993 et donne entièrement raison au pourvoi. L’affaire sera plaidée à la Cour d’Appel de Mons.
La décision contre P.F.N. et AGIR a finalement été prise le 22.06.1993 par la huitième chambre du tribunal correctionnel de Liège, présidé par M.REGIBEAU.
Il s’agit, en effet, d’un précédent extrêmement important puisque c’est la première fois que de la propagande politique fait l’objet de condamnations basées sur la loi de ’81.

Les 18 prévenus ont tous été condamnés sauf un (décédé).
Les peines s’échelonnent entre un maximum - 6 mois sans sursis - et un minimum-une amende de quelques milliers de francs avec sursis- en fonction du degré d’implication des prévenus et de leur personnalité.

Ces deux décisions se sont exprimées sur quatre questions principales dont l’extrême droite se sert en abondance pour animer ses débats et argumenter sa défense.

1. La publicité qu’on donne dans l’intention de pratiquer une discrimination raciale, n’implique-t-elle pas, dans certains cas -notamment l’écrit -.un délit de presse qui tombe sous la compétence de la Cour d’Assises ?
(Dans ce cas-là un non-lieu en est la conséquence.)

2. Les comportements des inculpés doivent-ils inviter à des comportements généraux ou plutôt à des actes concrets ? (Ce qui est rarement le cas dans les publications de l’extrême droite.)

3. La liberté d’exprimer ses opinions n’est-elle pas garantie par l’article 14 de la Constitution Belge ?

4. Quand il s’agit d’un groupement ou d’une association qui pratique la discrimination ou la ségrégation raciale, à partir de quel moment peut-on considérer que l’on en fait partie ?

Sur la première question, à savoir s’il s’agissait d’un délit de presse passible des Assises, le tribunal de Liège est ferme : « Attendu que tant le P.F.N. qu’AGIR, comme tout parti politique, n’ont pas essentiellement pour objet de recourir à des publications pour promouvoir leurs positions, cet aspect de leurs activités n’étant qu’un moyen utilisé à cette fin » (c’est-à-dire celle de rallier des adhérents), le tribunal se considère compétent car il faut, selon lui, davantage insister sur l’appartenance à une organisation (dans le sens de l’art.3 de la loi puisque à priori, aucun des prévenus n’apparaît être l’auteur de ces tracts), plutôt que sur la publication elle-même.

Concernant la deuxième question, la Cour de Cassation (dans l’affaire des tracts racistes à
Tubize) n’est pas du même avis que la Chambre des Mises en Accusation de Bruxelles (dans cette même affaire, qui, pour tomber sous le coup de la loi de ’81, exigeait bien un comportement invitant à des actes concrets, déterminés ou déterminables (p.ex. « Il faut tuer Mr. X. »). La Cour estime elle, que l’arrêt rendu par la Chambre des Mises ajoute à la loi une condition qu’elle ne contient pas puisque la loi érige en infraction « l’incitation à la haine, qui ne consiste pas en un acte précis ou concret mais en un sentiment ».

Concernant la 3ème question c’est-à-dire le délit d’opinion, la Cour (dans l’affaire de Tubize) et le Tribunal de Liège (PFN ET AGIR) stipulent unanimement que la liberté d’exprimer ses opinions connaît des limites notamment : « que prôner le rapatriement des immigrés est une chose, que le faire d’une manière incitant à la discrimination raciale en est une autre » (Liège).
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Une partie du discours habituel des avocats de la défense consiste souvent à prouver qu’il ne s’agit pas d’une organisation ou d’une association, ou que tel ou tel individu n’en fait pas partie, ceci pour éviter de tomber sous l’application de l’article 3 de la loi ’81 qui concerne les associations qui pratiquent (entre autres) la discrimination ou la ségrégation raciale. Or à la fin des débats, un des inculpés membre d’AGIR n’a pu s’empêcher de clôturer son propre procès en soulignant qu’il faisait partie d’un mouvement bien organisé et discipliné. Le tribunal de Liège a confirmé l’application de l’article 3 en statuant que les prévenus qui ont figuré sur les listes électorales ont ainsi manifesté publiquement leur intention de pratiquer, la politique de discrimination prônée par leur parti.

Ceci confirme davantage une position que l’on retrouvait déjà dans une jurisprudence précédente. Par ailleurs, le tribunal contredit le discours (souvent invoqué par la défense), qui met en question la notion même du délit d’intention et donc les trois infractions citées dans l’article 1 de la loi de 1981.

Il est vrai qu’auparavant le délit d’intention a souvent posé des problèmes, non parce que les tribunaux mettaient en cause la notion en soi mais plutôt parce qu’ils estimaient que l’intention discriminatoire n’était pas suffisamment établie. Il paraît en effet bien difficile d’établir l’élément intentionnel lorsque l’auteur d’un propos nie avoir eu une intention de discrimination raciale. Puisque l’arrêt de la Cour de Cassation dans l’affaire des tracts racistes à Tubize renvoie le dossier en Cour d’Appel de Mons et que l’on fait appel contre la décision dans l’affaire PFN/AGIR à Liège, aucune de ces deux décisions ne sont définitives et puisqu’elles ont été prises par deux juridictions de niveau et avec des compétences différentes, il est trop tôt pour conclure qu’il s’agit en général d’une nouvelle direction dans la jurisprudence.

Il est pourtant probable que les juges aient été inspirés par la montée du racisme et notamment par les événements dans les pays voisins. On peut espérer y voir l’amorce d’un nouveau courant dans la jurisprudence allant dans le sens d’une application plus efficace de la loi ’81.

Pendant les débats devant le tribunal correctionnel de Liège tous les avocats des parties civiles mais aussi le substitut et le tribunal dans son jugement ont explicitement fait référence à cette effrayante recrudescence de la xénophobie en Europe. Il faut compter sur les magistrats pour qu’ils se rendent compte de leur responsabilité en ce domaine. Leur position est essentielle dans la lutte contre ce phénomène abominable qu’est le racisme et que la loi de ’81 puisse être appliquée dans l’esprit dans lequel elle a été conçue : une loi préventive.

Patrick SPINNOY

Racisme et foot (1991)

des mots et des maux...

Les événements somme toute récents de Forest et Saint-Gilles ont soulevé de manière criarde le problème du racisme en Belgique. Un fléau qui touche non seulement la société mais le sport aussi, malheureusement. Le football n’échappe pas à cette règle. Témoin, l’enquête que nous avons menée au début de l’été auprès d’un quarteron de joueurs étrangers, tous salis, sans exception, d’une manière ou d’une autre. Un phénomène qui, loin d’être propre à notre pays, s’observe aussi chez nos voisins comme le révèle l’autre volet de notre étude. En 1983, Foot-Magazine avait pour la première fois focalisé son attention sur le sujet. Huit ans plus tard, une nouvelle évaluation s’imposait. Il nous reste à espérer, à présent, que plus jamais nous n’aurons à rouvrir ce pénible dossier...

Des vertes et des pas mûres

« Si les gens devaient savoir tout ce qui se dit sur un terrain, ils n’en croiraient pas leurs oreilles". Paroles de Stephen Keshi, rencontré peu avant son départ à Strasbourg. En cinq ans dans notre pays, le Nigérian en a entendu des vertes et des pas mûres. " Tout le jargon y est passé" dit-il.
"Macaque, sale nègre, bougnoul, ce fut mon lot quasi chaque semaine. Je me demande toutefois si ces propos étaient toujours fondés. En les proférant, je crois que certains adversaires visaient surtout à me décontenancer. Je me suis invariablement contenu dans ces circonstances. Sauf à une occasion. Face à Malines, en Coupe d’Europe. Au Kavé, Den Boer avait été si odieux et provocateur que j’étais tombé dans le panneau. On jouait depuis quelques minutes à peine et l’arbitre, Michel Vautrot, me priait déjà de regagner les vestiaires. C’était effroyable. Tout le monde m’en voulait. L’élimination, quinze jours plus tard, n’arrangea bien sûr nullement les choses. Chacun me montrait du doigt. A la longue, l’affaire s’est tassée. Mais un joueur ne m’a jamais pardonné ce relâchement coupable : Adrie Van Tiggelen. A partir de ce jour-là, il m’a constamment cherché noise. A ses yeux ,j’étais une nullité sur le plan tactique et Anderlecht n’obtiendrait jamais rien de bon avec moi. Passe encore qu’il m’aurait signifié tout cela entre quatre yeux, mais non, avec lui, j’étais sempiternellement livré à la vindicte publique. Il n’arrêtait pas de m’engueuler sur la pelouse, devant tout le monde, et poussait même l’audace jusqu’à applaudir quand d’aventure De Mos me remplaçait. Ce que je ne lui ai jamais pardonné, c’est de m’avoir traité à l’une ou l’autre reprises de "négro". Les autres Africains du club n’étaient d’ailleurs pas logés à une meilleure enseigne. Tandis que Charly Musonda, Nii Lamptey et moi discutions un jour dans le salon réservé aux joueurs, le Hollandais y entra pour en ressortir aussitôt sous prétexte qu’il y faisait trop sombre. C’est assez éloquent, non ? Oliveira aussi fut, à un moment donné, la cible de ses railleries. C’était à l’époque où le Brésilien faisait encore figure d’apprenti-footballeur au Sporting. Il suffisait alors qu’il fasse une mauvaise passe pour que Van Tiggelen lui dise méchamment d’aller brosser le couloir et de cirer les godasses.
Luis en a bavé, crois-moi. Mais il n’a jamais riposté. La seule fois qu’il est sorti de ses gonds, c’était contre Zetterberg à la conciergerie du club. Ce jour-là, à ce que l’on dit, les tournevis volaient »...

"En tant qu’étranger, j’étais seul"

Que ce soit à Anderlecht ou ailleurs, il est symptomatique de constater combien ceux qui sont victimes d’injures ou de remarques déplacées conservent une étonnante maîtrise de soi.
" Il m’arrive souvent de bouillir intérieurement quand j’entends tout ce qu’on me lance à la tête" précise Mohamed Lashaf. "Avec le temps, j’ai appris à me maîtriser. Les quolibets, loin de me décontenancer, me motivent même davantage. J’ai toute une communauté derrière moi. Je veux être un modèle pour ces gens-là".
A ses débuts, le Marocain paya pourtant un lourd tribut au "traitement de faveur" dont il était gratifié de semaine en semaine sur les grounds. Excédé par les remarques d’une foule hostile et le matraquage continuel perpétré sur lui, le néo-Standardman s’était vu brandir une carte rouge, jadis, à Zele, à la faveur d’un match avec son club d’alors, le Racing Jet Wavre. Imagination et rumeurs allant bon train au Pays de Waes, on raconta que l’affaire s’était terminée par une bataille au couteau. Du coup, les dirigeants de Lokeren, qui courtisaient l’ancien Anderlechtois, le laissèrent tomber. « En tant qu’étranger, j’ai bien vite compris que j’étais seul » commente Lashaf. « Pour trouver grâce aux yeux de l’assemblée, il faut être parfait sur tous les plans. A l’Antwerp, quand j’inscrivais un but ou que j’adressais une bonne passe, tout le monde trouvait cela normal. Mais il suffisait d’un seul mauvais service de ma part pour que le Vlaams Blok se retourne contre moi ».

Des problèmes relationnels, Lashaf en a quelquefois rencontrés. Au Racing Jet Wavre notamment, avec Michel Wintacq, qui ne voyait visiblement pas d’un bon oeil que son team-mate, originaire de Cuesmes, lui chicane une bonne partie de sa popularité dans le Borinage. A Anderlecht, Demol ne se privait pas non plus de le remettre de temps à autre à sa place. « A l’occasion d’un match de réserves, j’avais eu l’audace de dribbler trois hommes », se souvient Lashaf. « Ce n’était pas au goût de Demol qui m’a fait remarquer que des coups d’éclat pareils n’étaient réservés qu’à lui au Sporting ».

Une question turlupine toujours Lashaf aujourd’hui : fut-il sagement éconduit au parc Astrid parce qu’il n’avait pas les qualités requises ou bien sa nationalité a-t-elle joué un rôle aussi ? Dans son entourage, quelques-uns sont persuadés, en tout cas, qu’un Maghrébin chez les Mauves, c’était impensable. Soit. Mais pourquoi Anderlecht aurait-il alors fait massivement appel au talent de l’Afrique profonde ces dernières années ?
Sidi Airouss, président du Comité des Footballeurs Marocains de Belgique, voit quand même une différence. « Les Noirs sont synonymes de dextérité et de qualités physiques » souligne-t-il. « Chacun admet bien volontiers le génie d’un Pelé, d’un Gullit ou d’un Milla. Les Maghrébins, en revanche, sont généralement associés à des aspects moins reluisants comme la traîtrise, la fourberie ou la rapine. Pour quelle raison, je me pose la question ? A l’époque de la Guerre du Golfe, c’est nous qui avons porté le chapeau. Pourquoi ? Nous n’avions absolument rien à voir là-dedans ! »

"Retourne chez Saddam Hussein"

L’exagération, on la retrouve également dans les propos de ce serveur qui s’en prit un jour au nouveau transfuge marocain de l’Antwerp, Nourrédine Moukrim. « Je m’apprêtais à passer commande quand l’homme me traita subitement de tous les noms d’oiseau et me pria de retourner chez Saddam Hussein. Je n’ai pas insisté mais j’aurais voulu qu’il comprenne que j’avais autant d’aversion pour le personnage en question que lui-même ». La couleur de la peau fut, pour Moukrim, la cause de plus d’un tourment. « Cent fois plutôt qu’une, on m’a refusé l’entrée d’une discothèque » avoue-t-il.
« Quelquefois, la situation était vraiment cocasse. Après un match en nocturne à Wavre, Lashaf et moi avions décidé de terminer la soirée au "Borsalino", la discothèque la plus réputée du coin. L’entrée nous y fut refusée. Nous avions beau dire, témoins à l’appui, que nous étions tous deux footballeurs au Racing Jet local, rien n’y faisait. Nous étions tout simplement persona non grata. Finalement, c’est grâce à l’initiative de quelques coéquipiers belges, descendus sur les lieux, que nous avons pu rentrer. Pour ce faire, il fallut toutefois que l’un d’entre eux laisse ses papiers d’identité à l’entrée et se porte garant pour nous ».

Un "simple" Ghanéen

Keshi connut les mêmes avatars à Lokeren d’abord puis à Bruxelles. A la longue toutefois, la notoriété aidant, il finit par franchir toutes les portes.
Lamptey, son protégé, est passé par les mêmes stades. Si son visage et son nom plaident pour lui, aujourd’hui, il fut quand même un temps où il put mesurer ce que représentait le fait d’être un simple Ghanéen parmi d’autres. " C’était à mes débuts au Sporting" se rappelle-t-il. " Mes papiers n’étaient pas tout à fait en ordre, semble-t-il, et je fus prié de passer la nuit à Zaventem. Si Michel Verschueren n’était pas intervenu, on m’aurait remis le lendemain dans l’avion pour Accra, au même titre que plusieurs compatriotes".

La mésaventure de Lamptey n’est pas sans rappeler celle qui survint à Serge Kimoni voici environ deux ans. Fin 1989, le Sérésien présenta dans le train entre Bruges (où il évoluait à ce moment) et Liège (ville où sa famille est établie) un Go Pass qui n’était pas en ordre, la date n’ayant pas été mentionnée. Obligé de payer le prix plein, Kimoni refusa d’obtempérer. Alertés par le contrôleur, deux policiers montèrent sur la rame en gare de Bruxelles-Midi et débarquèrent de force le joueur. Emmené de force, celui-ci fut à ce point malmené qu’il eut tôt fait de présenter un visage tuméfié. L’agent chargé de taper la déposition se rendit compte, au moment de prendre possession des papiers d’identité du joueur, qu’il n’avait pas affaire à n’importe qui. Le comportement des représentants du service d’ordre changea dès lors du tout au tout et l’un d’entre eux proposa même de soigner l’infortuné Serge. Celui-ci déclina l’offre et déposa plainte à son tour après avoir fait constater son état par un médecin. Tout s’est finalement arrangé pour lui mais on peut franchement se demander comment cette histoire aurait tourné s’il ne s’était pas agi de Serge Kimoni, ci-devant international espoir au FC Brugeois. Apprécié par les sympathisants "bleu et noir", Kimoni, au même titre que son coéquipier sénégalais Mamadou Tew, ne s’est cependant jamais fondu à merveille dans la Venise du Nord ainsi que dans l’entourage du Club.
« En ville, j’étais considéré comme le zwarte Piet » remarque-t-il.
« Pour Mamadou, ce n’était pas drôle tous les jours non plus. Un exemple parmi d’autres ? Lassé de ne pas trouver de maison pour les siens, il fit appel à la direction pour lui dénicher un logement. Un propriétaire était flatté de pouvoir louer son habitation à un joueur brugeois mais lorsqu’il apprit que c’était pour Mamadou, il s’est subitement ravisé ».

"Si je m’étais contenté de porter toujours des jeans..."

Un autre fait divers qui est allé loin dans le chef des précités concerne une mesure d’exclusion dont ils furent victimes sous les ordres de Georges Leekens. « Au terme de la saison, le sponsor offrit un magnétoscope aux divers éléments du noyau. Les seuls à se retrouver les mains vides furent Mamadou et moi. Depuis lors, j’ai ma petite idée à propos de Leekens ».

L’ex-entraîneur des « gazelles » s’est-il arrêté à la couleur de la peau, comme semble vouloir le soutenir Kimoni ou bien faut-il voir plutôt là une mesure disciplinaire ? C’est que Mamadou et Serge n’eurent pas toujours un comportement irréprochable. Ce jugement peut sûrement être étendu aussi à Stephen Keshi dont les démêlés avec De Mos étaient sans nul doute liés davantage aux fantaisies du Nigérian sur le terrain qu’à un problème purement racial. Car s’il est vrai qu’il fut quelquefois retiré du jeu après un relâchement coupable, il est tout aussi exact que "Moustache de Fer" réserva un même traitement à ses compatriotes Van Tiggelen et Kooiman.
Mais le sculptural Stephen n’en démord pas : De Mos n’en finissait pas de lui chercher des poux. Sur le terrain comme dans la vie de tous les jours. « J’aurais encore compris que pour l’une ou l’autre raison, il n’aime pas le footballeur Keshi » souligne le néo-strasbourgeois. « Mais il ne pouvait pifer l’homme non plus ». Et Keshi d’y aller d’une confession étonnante : « II ne supportait tout simplement pas que je sois mieux habillé que lui. Sans cesse, il me demandait où j’avais acheté telle veste ou tel pantalon. Il en faisait réellement une question d’honneur. Si je m’étais contenté de porter toujours des jeans, je ne suis pas loin de penser que je serais toujours Anderlechtois aujourd’hui »…

Bruno GOVERS